Sur la route avec Raphaël Glucksmann
Les sondages sur les élections européennes placent au sommet de la gauche la liste d’un PS qui y voit la promesse de sa renaissance. Nous avons suivi la très glamour tête de liste en campagne pour prendre la température de cette «dynamique»
On ne pensait plus jamais voir ça: les socialistes français ont le sourire. Au meeting de leur tête de liste pour les élections européennes de juin, à Nancy ce mercredi 27 mars, Olivier Faure, premier secrétaire, le lâchait aux journalistes: «Je ne pouvais rien espérer de mieux, cette campagne sans aucune retenue sera une étape enthousiaste dans notre reconquête de l’opinion publique.»
Cette locomotive qui rend les socialistes français si joyeux, c’est Raphaël Glucksmann, l’intellectuel de 44 ans dont tout le monde parle en ce début de campagne. «Cette énergie m’emporte», lance Catherine, joviale sexagénaire au pull en laine coloré alors que la foule se disperse finalement vers 23h. Cette sympathisante socialiste depuis la première élection de François Mitterrand admet avoir voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et pour le communiste Fabien Roussel à celle de 2022. «Ils étaient où, les socialistes, sur ces élections?» répond-elle en forme de boutade quand on lui demande pourquoi. «Là, on peut enfin réexister, j’y crois», conclut-elle. Plus besoin de voter pour un autre parti et d’autres valeurs par défaut ou afin de faire barrage à l’extrême droite, répondent de nombreux responsables au cours de la soirée.
Un mariage fertile
Cette réunion publique locale aurait réuni 600 personnes selon les organisateurs, qui en attendaient deux fois moins. Elle concluait pour Raphaël Glucksmann une longue journée de campagne autour du fief socialiste de l’est de la France. Accueilli le matin par Mathieu Klein, l’influent maire de Nancy qui lui déroulait le tapis rouge à la sortie du TGV, celui qui mène la liste réunissant son petit parti Place publique et l’ancien très grand Parti socialiste jouait donc un peu à domicile. Un attelage crédité de 9 à 13% des intentions de vote dans les sondages et qui caracole donc largement en tête d’une gauche française pourtant dominée par les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon ces dernières années. La liste reste cependant loin derrière l’ultra-dominateur Rassemblement national (environ 30%) et un camp présidentiel qui peine à rester au-dessus des 20%.
Le mariage entre Raphaël Glucksmann et les socialistes semble donc fertile. Le candidat s’appuie sur les réseaux militants du PS alors que le PS s’appuie sur la popularité médiatique du candidat. D’autant que ce «quasi-socialiste qu’on essaie de convaincre», selon les termes d’Olivier Faure, attire à lui les sociaux-démocrates déçus par le virage à droite d’Emmanuel Macron et les excès de Jean-Luc Mélenchon d’après une étude de la Fondation Jean-Jaurès.
«Belle et grande surprise»
Cette tendance sondagière porteuse fait sortir Raphaël Glucksmann du lot et provoque même une folle idée, qui circulait dans son entourage mercredi: et s’ils arrivaient à faire jeu égal avec les macronistes? Olivier Faure ose même une comparaison un peu poussée en affirmant attendre «une très belle surprise le 9 juin» avec ce «visage incarnant l’espoir» qui s’afficherait sur les écrans comme celui de François Mitterrand en 1981.
Après avoir fait carton plein le dimanche 24 mars près de Toulouse, à l’occasion du grand meeting de lancement de la campagne socialiste devant plus de 2500 personnes, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann dit aux journalistes percevoir «quelque chose qui commence et qui a la saveur de l’espérance». Mais aussi la promesse d’une «belle et grande surprise électorale». «Il se passe quelque chose sur cette campagne, je le vois ici à Nancy», affirme quant à lui le maire Mathieu Klein, qui se dit convaincu que le rééquilibrage du PS sur sa gauche, après les années Hollande, fait du parti de Jean Jaurès «la seule force capable de fédérer ce camp».
«Il y a un espoir et le constat du besoin d’une troisième force pour aller au-delà du match entre Rassemblement national et Emmanuel Macron que l’Elysée veut nous imposer et qui étouffe les Français», lâche Raphaël Glucksmann à la sortie d’une visite de cimenterie. De quoi mettre entre parenthèses les tensions au sein du PS entre nostalgiques de la social-démocratie et défenseurs de l’alliance à l’Assemblée avec la gauche radicale et les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon? Et faire oublier les moins de 2% d’Anne Hidalgo, la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle? En insistant sur le fait qu’il veut davantage taxer les riches et contrôler les multinationales tout en s’opposant à certaines ambiguïtés mélenchonistes sur la Russie ou le Hamas, l’eurodéputé ouvre une sorte de ligne intermédiaire. «Comme si le PS s’était retrouvé un leader», imagine même Le Monde.
«Ce n’est pas encore Byzance, mais je préfère un sondage à 13% qu’un sondage à 4%, c’est sûr», relativise Jeremy Houssay, qui s’occupe de la question européenne au sein du PS de Meurthe-et-Moselle. Au four et au moulin avec son sweat à capuche aux couleurs bleues et jaunes de la bannière étoilée européenne, ce militant local garde la tête froide mais dit percevoir un frémissement. Il espère surtout que le passage de Raphaël Glucksmann dans cette région marquée par la désindustrialisation lui aura permis de se défaire un peu de son image de «bobo parisien qui ne parle que de l’Ukraine». Pour lui, l’intellectuel doit aussi se profiler sur des thématiques plus sociales et environnementales s’il veut convaincre à gauche.
Des accents macroniens
Essayiste et réalisateur de documentaires, le fils du philosophe star André Glucksmann et compagnon de la journaliste Léa Salamé, tête d’affiche de l’audiovisuel public, est effectivement régulièrement décrit comme l’incarnation d’une gauche caviar issue des beaux quartiers de la capitale et honnie par les plus radicaux, qui n’hésitent pas à l’attaquer. L’autre étoile montante de la gauche française, l’Insoumis François Ruffin, l’a par exemple fait de manière très remarquée en lui adressant une lettre ouverte sur son blog pointant le côté «hors sol, déconnecté, sans ancrage» d’une élite «qui avance avec arrogance et inconscience».
Il faut dire que la tête de liste socialiste est surtout à l’aise quand il s’agit de défendre ses engagements aux côtés des peuples opprimés et pour la défense de la démocratie dans le monde. Une ligne «humaniste» qu’il n’a pas pu s’empêcher de très régulièrement mettre en avant à Nancy et qui s’illustre ces jours par sa volonté d’aider bien plus massivement l’Ukraine, considérant que sa place à terme est dans l’UE. Cette conviction qui va de pair avec sa vision d’une Europe très forte, à la limite du fédéralisme, a des accents macroniens et est rarement aussi poussée à gauche. Si, dans la région de Nancy, il venait donner quelques gages sur des terrains qui lui sont moins familiers, il a régulièrement insisté sur le fait que l’Europe (et les socialistes) devait assumer ses «principes» pour regagner en puissance.
Avant la cimenterie et le meeting, Raphaël Glucksmann avait ainsi séduit les étudiants du campus de Sciences Po à Nancy. «Pour moi, il représente une alternative pour ceux qui, à gauche, ne sont pas convaincus par le radicalisme porté par les Insoumis», affirme par exemple Mathéo Hosy, qui venait d’enregistrer avec l’élu un épisode du podcast du campus, Europe’n’Roll. «Le cursus de ce campus est tourné vers l’Europe et la relation franco-allemande, ajoute sa camarade Camille Clément. Ça explique aussi pourquoi sa ligne pro-européenne est populaire ici et La France insoumise, beaucoup moins défendue qu’ailleurs. Le fait qu’il tienne une ligne opposée à la leur sur des questions comme celle de la Russie et de la guerre en Ukraine est ressenti positivement.» Quand on vous dit qu’il jouait à domicile ce mercredi. Pendant ce temps, ses opposants, y compris à gauche, fourbissent leurs armes. «Ce diviseur n’est là que pour empêcher l’union populaire» et «un tel va-ten-guerre mérite une cuisante défaite», tweetait il y a peu JeanLuc Mélenchon. ■
«Il représente une alternative pour ceux qui, à gauche, ne sont pas convaincus par le radicalisme porté par les Insoumis»
MATHÉO HOSY, ÉTUDIANT