Le Temps

A Lausanne, une église en libre-service

La première des City Church – très présentes en Allemagne – de Suisse romande naît à deux pas de la gare de la capitale vaudoise. L’espace est ouvert à tout un chacun et s’articule autour de la pensée du théologien catholique suisse Maurice Zundel

- AÏNA SKJELLAUG

Entre les étals du marché, au boulevard de Grancy, se dresse vers le ciel une nouvelle église tout juste sortie de terre. Une merveille d’architectu­re de verre. On la voit depuis les quais ferroviair­es de Lausanne, et le lac apparaît au travers. La place sera transformé­e en zone piétonne d’ici quelques années, et la sortie principale sud de la gare se fera juste en face. On peine à se rappeler ce qui était là avant et c’est normal, la chapelle de Mon-Gré était souterrain­e.

La City Church, accessible à chacun durant les jours ouvrables, de 7 à 13h, se veut être un lieu de halte pour les pendulaire­s, un endroit destiné aux passants. «Un espace entre l’habitat, le travail et les loisirs pour une société où tout va de plus en plus vite. Ouverte aussi à ceux qui n’ont pas la foi, et qui cherchent un espace de résonance où se poser», décrit son responsabl­e, le jésuite Luc Ruedin. Ici, aucune obligation de parler, mais la certitude d’être bien accueilli. Une possibilit­é de se retrouver avec soimême… et plus.

Qui était Maurice Zundel?

Une trentaine de bénévoles oeuvreront à l’animation des lieux dès son inaugurati­on officielle, les 20 et 21 avril. La méditation en silence entame la journée entre 7h15 et 7h45, suit la prière du matin puis la permanence de l’accueil jusqu’à midi. De 12h15 à 12h45, une célébratio­n est proposée du mardi au vendredi. La pensée qui articule cet espace est tirée des écrits du théologien Maurice Zundel, qui a passé ici même les trente dernières années de sa vie, entre 1946 et 1975. «La stratégie culturelle de l’Espace Maurice Zundel est conçue pour servir la régénérati­on des gens: valoriser le moment présent, encourager le silence et offrir un refuge en dehors du smog numérique et visuel de la ville», propose Veronika Dlabac, chargée du projet culturel du lieu.

Qui était cet homme? Un prêtre original, penseur, théologien et mystique catholique, qui aimait parler du «Dieu pauvre», à l’inspiratio­n de saint François d’Assise. Né en 1897 à Neuchâtel, Maurice Zundel cherchait à percevoir toutes traces de la grandeur de l’homme dans les différents courants philosophi­ques et religieux, et n’hésitait pas à reprendre

La City Church se veut être un lieu de halte pour les pendulaire­s

Nietzsche, Sartre, Camus ou Marx. «J’ai l’impression que sa parole peut mieux rejoindre les citoyens de 2024 que les discours traditiona­listes catholique­s, oui», pense Marc Donzé, le président de la Fondation Maurice Zundel, qui vient d’entamer la procédure de béatificat­ion de Maurice Zundel auprès du diocèse de Genève, Lausanne et Fribourg. «C’est un peu la boîte à surprise et si ça arrive, je ne verrai probableme­nt pas ça de mon vivant», sourit l’abbé de 77 ans. «Mais je pense que ça a des chances d’aboutir. Pour moi, Maurice Zundel est déjà saint, mais cela changerait quelque chose pour le rayonnemen­t de son oeuvre. Même s’il est sans doute déjà l’auteur théologiqu­e francophon­e le plus cité.»

La paroisse du Sacré-Coeur a mis des moyens colossaux: 2 millions de francs pour cet édifice spectacula­ire en plus de la rénovation des bâtiments qu’elle ne chiffre pas: est-ce un moyen d’attirer de nouveaux fidèles dans l’Eglise catholique? «Il n’y a pas d’idée récupératr­ice, non, mais plutôt celle de faire ressurgir les trésors cachés de la pensée de Zundel. Dans notre société très individual­iste, nous voudrions proposer ce courant personnali­ste, qui met la relation au centre», avance Luc Ruedin. Maurice Zundel n’avait en effet pas pour principe de «prêcher» mais «d’aider les gens à s’ouvrir par l’émerveille­ment». Comment apprendre à s’émerveille­r? «En fréquentan­t les oeuvres d’art, en écoutant de la musique, en lisant les livres de sciences, «la beauté du cosmos nous fait comme une confidence», disait-il», confie Marc Donzé, qui publie la totalité de ses oeuvres. «Au fond de lui, se trouve profondéme­nt ancré le respect des différents cheminemen­ts.»

Au rez-de-chaussée de l’espace, on offre un café au visiteur poussant la porte transparen­te. Il peut ainsi profiter de la clarté de la salle commune en lisant sur un canapé, ou en discutant autour de la table. Au bas de l’escalier, la chapelle est circulaire, sobre et dépouillée, illuminée par les vitraux des artistes bernois Emilia Eckel et Daniel Stettler. L’architectu­re est signée AC Atelier Commun SA, situé à Lausanne. Derrière se trouve la salle de méditation, sans signe religieux autre qu’une icône invitant au silence. Des samedis méditatifs y seront proposés à partir de juin, des cours de qi gong et de yoga également. Autant de moyens d’accéder à son intériorit­é. ■

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(LAUSANNE, 28 MARS 2024/NADIA TARRA POUR LE TEMPS) La façade de la City Church de Lausanne, non loin de la gare.

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