L’extrême droite fragmente les Jeunes UDC
La semaine dernière, les Jeunes UDC argoviens se solidarisaient avec Martin Sellner, identitaire autrichien arrêté en Suisse pour des questions de sécurité publique. Un soutien qui a déclenché une crise interne
«Un jour noir pour notre démocratie et la liberté d'expression! L'auteur et activiste Martin Sellner a été arrêté par la police cantonale argovienne lors d'une conférence. Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec Martin Sellner sur tous les points. Cependant en tant que patriotes, nous avons le devoir de protéger la liberté d'expression contre tous les idéologues qui sapent notre système juridique et arrêtent d'innocents citoyens pour des «crimes de pensée.» Mis en ligne le 16 mars par la branche argovienne des Jeunes UDC (JUDC), ce poste Instagram appelant à la «solidarité» avec le Viennois a suscité un malaise évident au sein du parti de jeunesse, dont les représentants de toute la Suisse se réunissaient mercredi soir pour une séance sur la question.
Chantre de la «remigration», concept qui demande la déportation forcée de toute personne ne correspondant pas à certaines valeurs (d'extrême droite), Martin Sellner, également connu pour avoir collé des autocollants de croix nazies sur une synagogue autrichienne et personnalité interdite d'entrée en Allemagne est en effet plutôt clivant. Tout comme ceux qui l'avaient invité en Argovie: Junge Tat (JT), groupuscule alémanique prônant le nationalisme blanc, surveillé par la police fédérale (Fedpol) depuis plusieurs années. Si les JUDC sont connus pour aimer la provocation, un palier déraisonnable a été franchi, considèrent certains de leurs membres. Qui demandent une distanciation claire avec le groupe extrémiste.
«Nous croyons en l’Etat de droit»
Où se trouve la limite? A gauche, la question de savoir s'il faut publiquement soutenir les actions menées par des groupes comme Renovate Switzerland s'est régulièrement posée. Ses buts – demander la rénovation énergétique du bâti suisse – sont clairement alignés avec certaines revendications partisanes. Toutefois les moyens pour y parvenir – bloquer le trafic – sont moins consensuels. A droite, plus précisément parmi les Jeunes UDC suisses, une réflexion similaire est en cours concernant Junge Tat. Dimanche dernier, la NZZ am Sonntag révélait en effet que Ramon Hug, le président des JUDC argoviens, écrivait sur un groupe interne la chose suivante: «Nous devons être honnêtes et reconnaître que le contenu du Junge Tat est exactement le même que le nôtre. Se distancier de cela, c'est comme se distancier de notre propre programme.»
Les faits montrent qu'en Suisse alémanique, l'UDC (jeune et le parti mère) et Junge Tat dansent un tango risqué depuis quelque temps. En 2022, une des premières actions du groupe d'extrême droite avait entraîné une condamnation unanime du Conseil communal zurichois – à l'exception de l'UDC. En janvier 2023, il était rapporté que l'ex-président des JUDC de Buchs (SG) avait rejoint JT. La même année, la presse alémanique montrait qu'un membre des JUDC thurgoviens était aussi chez JT, tout comme deux membres de la campagne fédérale de Maria Wegelin, présidente de l'UDC Winterthour, poussée à la démission. Ces derniers mois, le compte X des JUDC suisses a «liké» des contenus postés par l'une des figures principales de JT (toujours visible en ligne à l'heure d'écrire ces lignes). Enfin, la semaine dernière, les JUDC argoviens prenaient position contre les forces de l'ordre pour défendre une conférence des JT. C'était la goutte d'eau.
«Les Jeunes UDC genevois ont informé la direction du parti de leur opposition à Junge Tat, souligne Jason Détraz, président des JUDC Genève. Plusieurs autres sections cantonales ont fait de même. A Genève, nous sommes contre tous les extrêmes, de gauche comme de droite. La liberté d'expression doit certes être protégée mais nous croyons en l'Etat de droit. Si la police a des raisons d'intervenir, il faut respecter son action.» En mars dernier, le président de la section romande avait déjà émis des doutes sur le profil clivant du principal candidat à la présidence des JUDC Suisse, Nils Fiechter, condamné pour discrimination raciale en 2022. Ce dernier a été élu haut la main. A la suite d'inquiétudes exprimées par plusieurs branches des JUDC Suisse, la réunion tenue mercredi soir a porté sur des «ajustements en termes de communication», précise Jason Détraz. Sans entrer dans les détails.
A ce sujet, le conseiller national Andreas Glarner (UDC/AG) volait au secours de la relève de son parti cantonal mercredi, arguant d'une erreur de communication de la part de Roman Hug, tout en soulignant que ce dernier «n'est pas d'extrême droite». Andreas Glarner vient lui-même de perdre un procès contre un journaliste qui l'avait qualifié d'«extrémiste de droite» en ligne, le juge estimant que le terme était «justifié compte tenu de l'activité politique» de ce dernier. Ni les JUDC Vaud, ni les JUDC argoviens n'ont donné suite à nos demandes de réaction. Concernant une proximité idéologique avec Junge Tat, les JUDC Suisse ont répondu: «Nous sommes les Jeunes UDC et nous nous engageons pour une Suisse neutre, indépendante et à démocratie directe». L'UDC Suisse n'a pas répondu à nos questions concernant les affinités d'une partie de sa jeunesse avec Junge Tat.
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