A l’école, on n’apprendra plus à se coller les mains sur le bitume. Flûte!
–Alors, comment s’est passée ton épreuve de français?
– Au calme. Mais on a eu la visite d’activistes pour parler de désobéissance civile. On a appris que si on veut lutter pour le climat, on n’est pas obligés de se coller les mains sur le bitume ou sur le plateau de Léman Bleu, mais qu’on peut aussi détruire des panneaux en ville!
Ce dialogue fictif entre un parent et son enfant n’est pas un trait satirique. Il illustre une nouvelle tendance, encore marginale, mais présente à l’école genevoise, qui consiste à inviter des activistes sous le couvert de travaux pédagogiques, en réalité au nom d’idéaux supérieurs. Qui a des enfants a déjà eu l’occasion de s’ébaubir devant certaines activités scolaires relevant davantage du militantisme que de l’éducation civique, or je ne sache pas que le premier figure au catalogue des disciplines fondamentales du Plan d’études romand. Au point que le Grand Conseil genevois a voté vendredi dernier pour «interdire formellement la présence de tout individu ou organisation prônant ou menant des actions illégales ou de désobéissance civile dans les établissements scolaires». C’est sûr qu’après de telles présentations en classe il est difficile d’enchaîner avec un cours de droit.
Ce vote du Grand Conseil n’a pas fait grand bruit, il n’est pourtant pas anodin. Il fait suite à une motion d’un ex-élu MCG dénonçant la présence dans un établissement des collectifs Extinction Rebellion, BreakFree et Actif-trafiC.
La droite, majoritaire au parlement, vient donc de mettre un terme à ces manières de faire. Qu’aurait fait la gauche – et j’ose espérer la droite aussi – si, à la place d’Extinction Rebellion, le TCS était venu plaider l’élargissement de l’autoroute A1? Exactement la même chose. Et elle aurait eu raison.
Il est tout de même piquant que le politique doive se prononcer sur de telles incongruités. Je m’étonne que certains ne voient pas qu’on franchit allègrement la frontière d’un enseignement politisé. Si le faux-monnayeur Farinet vivait à notre époque, il eût probablement été invité par des enseignants dans le cadre d’une activité pédagogique consacrée aux inégalités provoquées par le capitalisme. A défaut, ils pourraient aussi accueillir des représentants du black bloc pour éclairer les élèves sur les techniques de barbouillage des bâtiments symboles de l’Etat et du capitalisme. Et pour faire bonne mesure, pourquoi ne pas inviter la Société des Vieux-Grenadiers pour parler de la patrie ou du bien-fondé de la mixité choisie?
Blague à part, ces invitations de militants frisant le code pour de nobles causes n’ont rien à voir avec les débats organisés dans des écoles avant les élections, encadrés par les enseignants et représentatifs de tout l’échiquier politique. Souvenez-vous du tollé qu’avait provoqué le conseiller d’Etat vaudois Frédéric Borloz, qui voulait les supprimer, craignant la partialité. Sensibiliser les élèves au débat d’idées dans une société qui y est de plus en plus rétive, oui. Apprendre la désobéissance civile par le truchement de l’Instruction publique, non.
Par communiqué, le syndicat SSP et le Collectif des enseignant·es pour le climat et la biodiversité se défendent de vouloir endoctriner. Néanmoins, ils s’inscrivent dans une logique d’opposition, soulignant les «points fragiles de l’Etat de droit: les intérêts économiques et la corruption, les idéologies suprémacistes et ségrégationnistes». Difficile, dans ces conditions, de prétendre à autre chose qu’à une guerre idéologique contre un système qu’on réprouve – et qu’il vaudrait mieux quitter plutôt que de s’en nourrir.
Et sinon, merci à l’écrasante majorité des enseignants qui enseignent sans évangéliser.
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Il est tout de même piquant que le politique doive se prononcer sur de telles incongruités