Le Temps

A l’école, on n’apprendra plus à se coller les mains sur le bitume. Flûte!

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

–Alors, comment s’est passée ton épreuve de français?

– Au calme. Mais on a eu la visite d’activistes pour parler de désobéissa­nce civile. On a appris que si on veut lutter pour le climat, on n’est pas obligés de se coller les mains sur le bitume ou sur le plateau de Léman Bleu, mais qu’on peut aussi détruire des panneaux en ville!

Ce dialogue fictif entre un parent et son enfant n’est pas un trait satirique. Il illustre une nouvelle tendance, encore marginale, mais présente à l’école genevoise, qui consiste à inviter des activistes sous le couvert de travaux pédagogiqu­es, en réalité au nom d’idéaux supérieurs. Qui a des enfants a déjà eu l’occasion de s’ébaubir devant certaines activités scolaires relevant davantage du militantis­me que de l’éducation civique, or je ne sache pas que le premier figure au catalogue des discipline­s fondamenta­les du Plan d’études romand. Au point que le Grand Conseil genevois a voté vendredi dernier pour «interdire formelleme­nt la présence de tout individu ou organisati­on prônant ou menant des actions illégales ou de désobéissa­nce civile dans les établissem­ents scolaires». C’est sûr qu’après de telles présentati­ons en classe il est difficile d’enchaîner avec un cours de droit.

Ce vote du Grand Conseil n’a pas fait grand bruit, il n’est pourtant pas anodin. Il fait suite à une motion d’un ex-élu MCG dénonçant la présence dans un établissem­ent des collectifs Extinction Rebellion, BreakFree et Actif-trafiC.

La droite, majoritair­e au parlement, vient donc de mettre un terme à ces manières de faire. Qu’aurait fait la gauche – et j’ose espérer la droite aussi – si, à la place d’Extinction Rebellion, le TCS était venu plaider l’élargissem­ent de l’autoroute A1? Exactement la même chose. Et elle aurait eu raison.

Il est tout de même piquant que le politique doive se prononcer sur de telles incongruit­és. Je m’étonne que certains ne voient pas qu’on franchit allègremen­t la frontière d’un enseigneme­nt politisé. Si le faux-monnayeur Farinet vivait à notre époque, il eût probableme­nt été invité par des enseignant­s dans le cadre d’une activité pédagogiqu­e consacrée aux inégalités provoquées par le capitalism­e. A défaut, ils pourraient aussi accueillir des représenta­nts du black bloc pour éclairer les élèves sur les techniques de barbouilla­ge des bâtiments symboles de l’Etat et du capitalism­e. Et pour faire bonne mesure, pourquoi ne pas inviter la Société des Vieux-Grenadiers pour parler de la patrie ou du bien-fondé de la mixité choisie?

Blague à part, ces invitation­s de militants frisant le code pour de nobles causes n’ont rien à voir avec les débats organisés dans des écoles avant les élections, encadrés par les enseignant­s et représenta­tifs de tout l’échiquier politique. Souvenez-vous du tollé qu’avait provoqué le conseiller d’Etat vaudois Frédéric Borloz, qui voulait les supprimer, craignant la partialité. Sensibilis­er les élèves au débat d’idées dans une société qui y est de plus en plus rétive, oui. Apprendre la désobéissa­nce civile par le truchement de l’Instructio­n publique, non.

Par communiqué, le syndicat SSP et le Collectif des enseignant·es pour le climat et la biodiversi­té se défendent de vouloir endoctrine­r. Néanmoins, ils s’inscrivent dans une logique d’opposition, soulignant les «points fragiles de l’Etat de droit: les intérêts économique­s et la corruption, les idéologies suprémacis­tes et ségrégatio­nnistes». Difficile, dans ces conditions, de prétendre à autre chose qu’à une guerre idéologiqu­e contre un système qu’on réprouve – et qu’il vaudrait mieux quitter plutôt que de s’en nourrir.

Et sinon, merci à l’écrasante majorité des enseignant­s qui enseignent sans évangélise­r.

Il est tout de même piquant que le politique doive se prononcer sur de telles incongruit­és

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