Le roi du cacao navigue en eaux troubles
Réputé pour sa force d’innovation, Barry Callebaut, numéro un mondial de l’or brun, basé à Zurich, traverse une période difficile. Et l’envolée des cours des matières premières n’est pas la seule explication aux problèmes qu’il affronte
Il a inventé le chocolat rose et fait la une de tous les journaux en 2017 grâce à cette innovation. Peu connu du grand public, le groupe zurichois Barry Callebaut est cependant bien présent dans nos placards car il nous permet d’assouvir nos fringales. Il fournit du cacao et des préparations chocolatées aux grands groupes alimentaires tels que Nestlé, Unilever et Mondelez. Les hôtels, les pâtisseries, les restaurants font aussi partie de sa clientèle. Il est le numéro un mondial dans son secteur avec environ 40% des parts de marché.
Mais après plusieurs années de croissance continue, le conglomérat fait face à de nombreux défis, tant au niveau interne que sur ses marchés. «Il est difficile de pointer du doigt le principal problème du groupe. C’est plutôt un ensemble de faits, pour certains très anciens, qui pourraient expliquer la situation actuelle», fait remarquer Jean-Philippe Bertschy, un analyste de la banque Vontobel. Son confrère Pascal Boll de Stifel souligne, lui, «un certain manque de transparence» au niveau des difficultés du conglomérat comptant plus de 13 000 collaborateurs et collaboratrices aux quatre coins du monde.
Grande restructuration en vue
«Barry Callebaut doit maintenant regagner la confiance de ses employés, clients et investisseurs», estime Jean-Philippe Bertschy. La dernière annonce du nouveau directeur général, aux commandes depuis avril 2023, n’a cependant pas rassuré. Lors d’un entretien accordé fin février au journal allemand Handelsblatt, Peter Feld a indiqué vouloir supprimer 2500 postes, soit 18% de ses effectifs au cours des dix-huit prochains mois. «Cet article a été accueilli négativement par le marché même si cette réduction du personnel pourra effectivement aider Barry Callebaut à atteindre ses objectifs d’économies. D’un autre côté, il y a le risque que cette coupe soit trop importante et mette en jeu sa compétitivité», souligne Pascal Boll.
A la suite de la publication de cette interview, le titre avait perdu plus de 1% de sa valeur. Depuis un pic atteint en 2021 à 2376 francs, l’action s’est nettement contractée à la bourse suisse: elle évolue en dessous des 1300 francs, sous-performant clairement son indice de référence, le SPI. Les intentions de restructuration de l’entreprise ne sont cependant pas nouvelles: en septembre 2023, le géant du chocolat avait présenté un plan d’économies annuelles de 250 millions de francs mais l’impact de cette mesure sur les effectifs restait jusque-là inconnu. Parallèlement, le groupe né en 1996 de la fusion du belge Callebaut et du français Cacao Barry avait en outre annoncé vouloir investir 500 millions de francs pour soutenir sa numérisation, optimiser son réseau de distribution et rationaliser son portefeuille de produits. Ces initiatives devraient à moyen terme aider la société à améliorer sa rentabilité et ses liquidités.
Lors de son dernier exercice complet clos fin août 2023, la multinationale a enregistré un repli des volumes vendus de 1,1% à 2,3 millions de tonnes tandis que son chiffre d’affaires a progressé de 4,7% à 8,5 milliards de francs. «Ce dernier indicateur est moins pertinent
«La marge de manoeuvre de Barry Callebaut est limitée. La transparenc est très élevée dans le secteur business to business» JEAN-PHILIPPE BERTSCHY, ANALYSTE FINANCIER
parce qu’il est porté essentiellement par la hausse des prix du cacao et des autres matières premières», commente Jean-Philippe Bertschy.
Le bénéfice net pour sa part a augmenté de 3,4% à 443,1 millions. Et pour l’exercice en cours, le numéro un mondial du cacao a revu ses ambitions à la baisse. Il anticipe désormais des volumes stables contre une hausse de 4 à 6% auparavant. En moyenne, les quantités vendues progressaient autour de 3 à 4% ces vingt-cinq dernières années, selon une étude de la banque zurichoise.
Envolée du cacao
Le géant du chocolat, comme ses pairs, souffre entre autres d’un environnement de marché difficile: des prix record du cacao et l’inflation en général pèsent sur les volumes vendus car les consommateurs et consommatrices surveillent de près leurs dépenses. Cette semaine, la tonne de cacao a atteint un sommet en franchissant les 10 000 dollars (un peu plus de 9000 francs), avant de redescendre quelque peu. Des entreprises comme Lindt & Sprüngli, vendant directement leurs produits à leur clientèle, ont nettement revu leurs prix à la hausse et vont continuer à le faire; pour des groupes industriels comme Barry Callebaut, cet exercice s’avère plus difficile. «Ils peuvent répercuter la hausse du prix du cacao et des autres matières premières mais leur marge de manoeuvre est limitée. La transparence est très élevée dans le secteur business to business», souligne le spécialiste de Vontobel.
Le désengagement progressif des actionnaires principaux du capital du chocolatier industriel laisse par ailleurs analystes et investisseurs perplexes. «Ces dix dernières années, la Holding Jacobs et la famille éponyme ont réduit leur participation de plus de 50% à 30%», relève l’analyste de Vontobel tout en faisant remarquer que le nouveau directeur général, Peter Feld, a travaillé auparavant pour le secteur du private equity [investissement privé, ndlr]. «Toutes les options sont sur la table», estime-t-il.
Par ailleurs, les différents changements à des fonctions clés du groupe depuis le départ du directeur général Antoine de Saint-Affrique en août 2021 n’ont pas aidé le groupe à surmonter des périodes marquées par une forte inflation, l’envolée du prix du cacao et la guerre en Ukraine. Nonobstant tous ces défis actuels, Barry Callebaut est considéré par les spécialistes comme un groupe très innovant. Le numéro un mondial du cacao, tout en ayant récemment reporté une partie de ses objectifs, est en outre reconnu pour ses efforts au niveau des questions de durabilité. Malgré ces atouts, regagner la confiance du personnel, des clients et investisseurs ne sera pas une promenade de santé pour les nouveaux dirigeants.■