L’inflation toucherait moins les «petits» chocolatiers que les grands
Le cours mondial de la fève vient de dépasser les 10 000 dollars la tonne. Si ce record semble peu toucher les artisans, ces derniers s’organisent pour faire face à une augmentation générale des coûts
Cette année, les fêtes de Pâques auront un goût amer pour certains chocolatiers. Le 26 mars, le cours de la tonne de cacao a franchi la barre des 10 000 dollars. Un record historique. En janvier, la tonne était à 1000 dollars. La faute à un manque de fèves pour répondre à la demande, à la suite des sécheresses causées par El Niño au Ghana et en Côte d’Ivoire, principaux pays producteurs de cacao, mais aussi à l’inquiétude des marchés financiers.
Cette situation mondiale exceptionnelle impacte-t-elle les artisans chocolatiers? Peu, d’après plusieurs concernés, parce qu’ils se fournissent en produits «de très bonne qualité». «Cela fait déjà un moment que nous achetons à un prix plus important», explique ainsi Christophe Bourquin, à la tête de Christophe Chocolatier à La Chaux-de-Fonds et Courtelary.
Même constat pour Daniel Knöpfel, directeur de la maison Du Rhône à Genève et des sept boutiques Jacot Haute Chocolaterie, ainsi qu’Yvan Loubet, directeur associé de La Bonbonnière. Ce dernier travaille avec des plantations d’Amérique du Sud, notamment en Equateur, en Bolivie ou au Venezuela. «Ce sont les fèves en provenance de Côte d’Ivoire et au Ghana, bien moins chères, qui subissent le plus l’inflation. Et ce sont surtout les industriels qui se fournissent là-bas.»
«Le moins d’intermédiaires possible»
Ces deux chocolatiers ont également fait le choix d’établir une chaîne bean to bar – «de la fève à la tablette» – avec le moins d’intermédiaires possible. «Depuis la guerre en Ukraine, nous avons repensé notre organisation pour faire des économies, en termes de contrat d’énergie, mais aussi en travaillant avec le moins d’intermédiaires possible», explique Daniel Knöpfel. A La Bonbonnière, on mise aussi sur ses propres filiales de transformation et ses propres recettes, plus pratique et moins coûteux. Ces contrats avec des partenaires de confiance établissent des prix fixes pour une durée d’un à deux ans selon les entreprises, «permettant d’anticiper les hausses de prix, assure Yvan Loubet. C’est un véritable point fort.»
Malgré tout, les artisans romands ne sortent pas totalement indemnes de la situation. Le cacao compte pour environ un quart des coûts des matières premières, auquel s’ajoutent le sucre et les produits laitiers. «Il y a quelques années, j’achetais un kilogramme de sucre en action à 0,75 franc, aujourd’hui c’est 1,10, chiffre Christophe Bourquin. Quand on écoule quatre tonnes par année, ça fait une sacrée différence.»
Le prix de la lécithine de soja a doublé
Quant à la lécithine de soja, il la paie désormais le double. «Certains profitent du contexte pour s’en mettre plein les poches», grince l’artisan. Ce dernier liste encore les prix de l’énergie et du boîtage du chocolat (l’emballage), qui a flambé de 30% ces deux dernières années. «Une hausse de 1 franc par boîte génère 10 000 francs supplémentaires.»
L’artisan s’est résolu à augmenter le prix de vente d’une partie de ses produits, tout comme La Bonbonnière. Du côté de Jacot Haute Chocolaterie, les tarifs n’ont pas bougé, nous promet son directeur. Selon lui, ce contexte inflationniste présente même l’opportunité pour les artisans chocolatiers de «repenser leur métier et se passer d’intermédiaires». A condition toutefois que l’entreprise ait déjà les reins solides, avec une force d’innovation et d’investissement. De l’avis des trois interlocuteurs, l’artisanat chocolatier garde une carte à jouer par rapport aux grands chocolats industriels: sa qualité.■