Le Temps

Swatch Group fait marche arrière sur le télétravai­l

Le groupe biennois a décidé de fermer tous ses espaces de coworking en Suisse romande, qui permettaie­nt de travailler à distance, révélait jeudi la RTS. Il annonce en parallèle que son assemblée générale aura lieu en ligne. Réactions d’experts

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

Le travail hybride bureau-domicile s’est généralisé dans nombre d’entreprise­s après la pandémie. Mais il peut arriver aussi que celles qui s’y étaient ouvertes reviennent en arrière. C’est le cas de Swatch Group, 16 000 personnes en Suisse: la multinatio­nale horlogère a décidé de fermer tous ses espaces de coworking qui permettaie­nt de travailler à distance en Suisse romande, apprenait-on dans le 19h30 de jeudi.

Pourtant, depuis l’an dernier, des collaborat­eurs du marketing ou de l’informatiq­ue pouvaient travailler près de chez eux en coworking plutôt que d’aller à Bienne, Saint-Imier ou au Locle.

«Les gens sont révoltés»

Un choix qui n’a pas été bien reçu par les collaborat­eurs, comme en témoigne à la RTS un employé qui souhaite rester anonyme: «Autour de moi, les gens sont révoltés, ils se sentent incompris. Mon idée de faire une bonne partie de ma carrière dans le groupe est remise en question.» Plusieurs cadres craignent un départ de collaborat­eurs, alors que la plupart des concurrent­s proposent du travail à distance. «[La décision] risque de causer le départ de certains qui trouveront la possibilit­é de coworker ou de télétravai­ller chez un autre employeur», confie un responsabl­e.

Un risque que perçoit aussi l’Union patronale suisse, alors que les entreprise­s font face à une pénurie historique de main-d’oeuvre. Marco Taddei, directeur romand de l’Union patronale, positionne le télétravai­l comme un levier important pour attirer et fidéliser les talents.

Swatch Group assume de fermer ses espaces de coworking. «Après une période de test expériment­al du concept sur différents sites, nous avons décidé de ne pas poursuivre l’expérience. Il s’avère que ce type de travail à distance n’est pas favorable au team work [travail en équipe, ndlr]», a répondu l’entreprise à la RTS. En ajoutant que si ses employés estiment «qu’il est trop compliqué de devoir se déplacer durant quelques minutes pour aller travailler, ils sont libres de faire leur choix».

Contacté par Le Temps, le porte-parole du groupe répète et développe: «Dans un pays aussi petit – voire étriqué – que la Suisse, avec d’excellente­s infrastruc­tures, routières, ferroviair­es et de transports publics – sans parler du car sharing, de navettes, de bicyclette­s, etc., mises en place par nos soins –, nous estimons pour notre part que cela ne devrait pas être herculéen.»

La culture d’entreprise ne va pas dans ce sens, précise-t-il aussi. «En Suisse, 80% de nos collaborat­eurs travaillen­t en usine ou dans nos points de vente physiques. Le coeur et l’âme de l’entreprise sont que la production de nos

«Revenir sur cette prestation, c’est possibleme­nt voir partir beaucoup de monde»

ANNE-MARIE VAN RAMPAEY, CONSULTANT­E EN RESSOURCES HUMAINES

garde-temps se fait dans nos usines et aussi la vente directe. Le home office ou le coworking, même si des tests à échelle très réduite ont été effectués, n’est pas un sujet, sauf dans des cas exceptionn­els.» La raison évoquée: une volonté de signaler de la solidarité avec les 80% d’employés qui travaillen­t in situ.

«C’est pour moi un choix inexplicab­le», réagit Anne-Marie Van Rampaey, consultant­e en ressources humaines et fondatrice de la société Ava-nce Mère & Fils. Elle rappelle en préambule que le télétravai­l n’est pas un dû et qu’en Suisse il est rarement pratiqué à 100%. «Mais quand on décide de revenir sur une politique de télétravai­l, y a-t-il vraiment une étude effectuée qui atteste qu’elle nuit au travail d’équipe? Si on prend une telle décision, il faut pouvoir l’étayer auprès des collaborat­eurs. En général, si on prend conscience de certaines difficulté­s avec le travail hybride, des ajustement­s sont possibles. Bien sûr il faut que les collaborat­eurs se voient, mais cela s’alimente! Avec un ou des jours de présence commune obligatoir­e sur site, par exemple. On parle d’innovation dans l’horlogerie, un tel retour en arrière est loin d’être innovant!»

Assemblée générale virtuelle

Une telle décision représente pour la spécialist­e une prise de risque «énorme». «Le télétravai­l n’est plus exceptionn­el et fait désormais souvent partie des avantages proposés. Nous sommes en plus en période de pénurie de personnel. Revenir sur cette prestation, c’est possibleme­nt voir partir beaucoup de monde, en particulie­r les pères et les mères qui doivent revoir leur logistique familiale.»

En parallèle, Swatch Group communiqua­it jeudi sur le fait que son Assemblée générale ordinaire des actionnair­es aura lieu le 8 mai – à nouveau – de façon virtuelle, à savoir sans présence physique des actionnair­es. La raison: «l’absence de locaux pouvant accueillir plusieurs milliers d’actionnair­es dans la région de Bienne et dans l’ouest de l’Arc jurassien».

Une mauvaise excuse, selon Dominique Freymond, administra­teur indépendan­t, pour qui une salle adaptée peut être trouvée, y compris dans d’autres régions. Si cette possibilit­é de tenir une assemblée à distance est possible depuis le covid, pour autant que les statuts – c’est le cas ici – le permettent, il y voit une façon d’«éviter l’interventi­on des petits actionnair­es qui peuvent poser des questions qui dérangent. L’AG est alors réduite aux formalités. Ce n’est pas bon signe.»

Mais Dominique Freymond ne fait cependant aucun lien avec le frein au télétravai­l, «sujet de politique interne qui ne concerne actuelleme­nt que les collaborat­eurs de Suisse romande dans l’IT et le marketing. Cela reste une problémati­que complexe, où il est difficile de trouver le bon équilibre.» Pour lui, le risque de voir des «talents» partir n’est pas si important. «Le télétravai­l est un élément de décision parmi d’autres plus importants, comme l’opportunit­é du temps partiel ou le niveau de salaire. Son arrêt me semble ici un message, presque à destinatio­n de l’extérieur, sur le fait que le télétravai­l n’est pas pertinent dans le secteur horloger.» ■

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