Le fromage sert à tout, même à trouver de l’or
Les appareils électroniques contiennent d’infimes quantités d’or difficile à récupérer. Mais une méthode pourrait tout changer et elle implique l’utilisation de lactosérum, un déchet de la production laitière
Dans ce laboratoire de Zurich, au milieu des microscopes, des spectromètres et des multiples appareils électroniques, il y a aussi… des vieux restes de fromage! Un cocktail étonnant qui est pourtant au coeur d’une étude parue dans la revue Advanced Materials, et écrite par de véritables chercheurs d’or. «Nous créons une sorte d’éponge à partir des déchets de la production laitière, résume le principal auteur, Raffaele Mezzenga, chercheur au département de sciences et technologie de l’ETH Zurich. Et avec ce dispositif, nous pouvons récupérer l’or contenu dans les appareils électroniques usagés.»
L’idée a de quoi faire sourire, voire laisser l’interlocuteur pour le moins sceptique, mais il s’agit d’un processus qui n’est pas nouveau, et l’usage fait ici n’est que le dernier exemple d’une longue série de recherches destinées à valoriser deux types de déchets qui n’ont rien à voir mis à part le fait d’être jugés irrécupérables: le fromage et les puces électroniques.
Utilisations annexes
Commençons par le fromage: pour en faire, il faut, en premier lieu, faire cailler le lait, étape durant laquelle le lait coagule. Le processus produit un gel appelé lactosérum, ou plus communément, du petitlait. D’aspect huileux et tirant sur le jaune, il s’en crée 9 litres pour 10 litres de lait.
Pas spécialement appétissant, le lactosérum a souvent été jeté, avant que des études, dès les années 1970, ne montrent à quel point ce dernier est polluant. Depuis, de nombreuses réglementations ont été mises en place pour lui trouver des utilisations annexes, dans l’alimentation du bétail, voire dans les laits en poudre pour bébé. Malgré ces efforts, il reste un produit encombrant, casse-tête des industriels qui peinent à lui trouver une utilité.
Eponge à or
Y aurait-il un nouveau débouché pour le lactosérum dans le monde de l’or? C’est en tout cas ce que pense Raffaele Mezzenga: «L’or a été longtemps au centre de nos sociétés pour son aspect précieux, mais plus récemment également pour ses applications dans l’électronique et les nanotechnologies. Il a une excellente conductivité et sa demande est en hausse, donc il y a beaucoup d’efforts faits pour le récupérer par tous les moyens.»
Le principe est donc de se servir du petit-lait, dont les propriétés absorbantes sont bien connues, pour récupérer cet or. Une méthode qui demande quelques opérations complexes. Tout d’abord, les protéines du petitlait sont extraites, et «étalées» de manière à former des nanofibres extrêmement fines, longues de plusieurs microns pour quelques nanomètres d’épaisseur. Entremêlées, elles forment une sorte de gel qui est ensuite séché jusqu’à aboutir à une éponge.
De leur côté, les déchets électroniques sont dissous dans des solutions acides. Les particules d’or sont alors réduites en ions, c’est-àdire que leur structure atomique possède plus d’électrons que de protons. A ce stade, il suffit alors de placer l’éponge dans la solution et les ions sont absorbés à l’intérieur, comme piégés dans le gel.
Dernière étape, brûler l’éponge, et observer les ions d’or qui, sous l’effet de la haute température, retrouvent leur forme originelle. Et à la fin il ne reste plus que des cendres d’éponge et des pépites d’or.
Valoriser d’autres déchets
«L’avantage, c’est que ça valorise des déchets, assure Cafer Yavuz, chercheur de l’Université Kaust, en Arabie saoudite, qui avait proposé une autre méthode reposant sur une résine nommée COP-180. Mais nous pouvions récupérer beaucoup plus d’or avec notre méthode, donc il y a encore du travail à effectuer.»
La nuance joue sur la capacité d’absorption de l’éponge. Avec la technique de Raffaele Mezzenga, 1 gramme d’éponge permet de récupérer 0,19 gramme d’or, tandis que le COP-180 a des résultats dix fois supérieurs.
En revanche, l’absorbeur fait de produits recyclés revient beaucoup moins cher, et en comptant ainsi, les scores sont meilleurs. Ce qui pourrait ouvrir la voie à d’autres méthodes: «Je crois en la curiosité qui fait avancer la science, ajoute Cafer Yavuz. Nous avons des progrès à faire pour bien capter l’or et non pas les autres métaux, mais aussi pour savoir comment valoriser tous ces déchets. Il y a plusieurs stratégies possibles pour cela.»
Raffaele Mezzenga, de son côté, a bon espoir de voir son approche se développer. «Il n’y a pas de limite technologique, c’est peu onéreux et facilement déployable à grande échelle. Nous commençons déjà à avoir des demandes, ce qui est encourageant.»
Le défi, maintenant, sera de pouvoir valoriser davantage de types de déchets de l’industrie agroalimentaire, la fameuse protéine pouvant se retrouver dans les plumes de poulet, l’huile de tournesol ou le tofu. Bref, tous les moyens sont bons pour trouver de l’or! ■