Ride, comme le début d’une nouvelle histoire
Trente-quatre ans après un premier disque quasi révolutionnaire, les quatre cavaliers d’Oxford reviennent avec un superbe septième album gavé d’énergie. Et attendent les appels du pied pour venir le jouer en live dans nos contrées
«S’il vous plaît, dites-leur bien qu’on a très envie de jouer chez vous!», lâche-t-il plein d’entrain en fin de conversation, manifestement nostalgique de nos sublimes montagnes. Guitariste et co-leader de Ride, Andy Bell aime l’Europe continentale, ça ne fait pas un pli. Un tropisme bien partagé dans le groupe, puisque Mark Gardener, chanteur et autre figure de proue du groupe d’Oxford, s’était, lui, carrément installé dans le Lot, dans le sud-ouest de la France, après leur séparation au mitan des années 1990. «Je pensais que j’allais me nourrir exclusivement de vin et de fromage, mais ce ne fut évidemment pas le cas», a-t-il récemment rappelé. Reste cette question pour les organisateurs de festivals: en 2024 ou même 2025, est-ce là une raison suffisante pour leur tendre la main? On se souvient en tous les cas de sublimes prestations, à Genève, Lausanne et Martigny, en 1990.
Ambiance années 1980
Balayons tout de suite le suspense: c’est un grand oui, tant Interplay, leur troisième album depuis leur réunion en 2017 et leur septième au total, constitue l’une des déjà très belles surprises de l’année. Et l’une des plus inattendues, on le confesse, après deux essais solides mais assez anecdotiques en 2017 et 2019. Là, on est submergé par leurs 12 compos impeccables: des hymnes (le single Monaco, juste énorme, leur titre le plus politique à ce jour), des cavalcades avec des pauses mélodieuses, un son inouï de clarté, comme d’habitude, et cette voix toujours aussi chaleureuse… On est soulagé que les Smiths n’aient jamais replongé pour garder leur héritage intact, on aurait également apprécié que d’autres groupes ne se retrouvent jamais, mais parfois, ça marche. Suede, par exemple, monstrueux depuis 2016 et leurs trois albums; et donc Ride, avec cet Interplay qui vient justifier toutes les tentatives de renouer avec le passé.
Andy Bell avoue une grande tendresse pour ce disque, surtout depuis janvier et la première fois qu’il a pu l’écouter du début à la fin, comme un auditeur de base. L’ambiance très années 1980 et les clins d’oeil appuyés à leurs amours de jeunesse? Une évidence pour lui, mais qui n’était en rien planifiée: «On n’avait absolument aucune idée de ce qu’on comptait faire avant de mettre un pied en studio. Une attitude très différente de nos albums précédents, mais on a trouvé une direction sans trop de problèmes à force de répéter. Dès qu’on a penché vers des hommages à Tears for Fears, Depeche Mode, Talk Talk et le début des années 1980 – car c’est ce qu’on écoutait au collège et au lycée –, on ne les a plus lâchés. Les gens savaient qu’on était surtout fans des Smiths, mais on n’avait jamais trop reconnu publiquement les influences des autres groupes. Voilà qui est fait.»
Interplay, donc, soit «interaction» en version française, pour ce qui est sans doute leur disque le plus collaboratif. Un petit miracle quand on songe à la guerre des ego qui avait conduit à leur explosion en 1996. «On n’aurait jamais pu aller au bout de ce disque dans les années 1990, vu comment on fonctionnait et avec tout ce qui venait nous polluer», confirme Andy Bell. Un groupe qui a aussi vu sa cohésion renforcée par la bataille judiciaire avec leur ancien manager. «Cet épisode nous a soudés, c’était tout sauf fun mais on a quand même réussi à trouver une façon de faire. Sans rancune, au final», même si Mark Gardener a récemment lâché: «Il voulait clairement qu’on finance sa retraite, ses avocats étaient incroyablement agressifs. Le groupe a bien failli disparaître.»
Harmonies et douceur de la voix
Ride est encore présenté comme un combo shoegaze, un terme inventé par la presse anglaise pour qualifier les groupes qui passaient leurs concerts le nez dans leurs chaussures, ou plutôt sur des consoles à régler leurs effets de guitares pour renforcer les murs du son. Il serait peut-être temps d’arrêter. «C’est pour moi un mystère qu’on ait pu être associés aussi longtemps à ce mouvement. Passe encore pour le premier album (Nowhere, 1990), mais ensuite… Je ne m’en plains pas, hein, parce que ça ne nous a pas desservis. Mais notre première force, ce sont les harmonies et la douceur de la voix, pas le mur du son», analyse Andy Bell. Il est vrai que dès Going Blank Again, leur deuxième album paru en 1992, leur songwriting plein de romantisme s’est très vite imposé. Même si ça restait aussi propre que monstrueux quand ils décidaient de sortir la boîte à gifles – impossible de ressortir indemne de Leave Them All Behind et son intro totalement démente de plus de 2 minutes, avec la batterie comme un coeur qui s’emballe, pour huit minutes de folie brute au final.
La cinquantaine bien tassée, les membres de Ride sont aussi devenus humbles. Pas une interview sans qu’ils rendent hommage au rôle essentiel joué ici par Richie Kennedy: «Il est arrivé comme ingénieur du son et il est reparti comme producteur! On ne s’en est pas rendu compte, mais il a embrassé ce rôle-là dès le premier jour pour devenir une force motrice du disque. Il a chassé parmi une année de démos et trouvé des trucs enfouis qu’on avait oubliés. Tant mieux pour nous», avoue Andy Bell. Qui rappelle aussi que la brouille entre les amis d’enfance avait été largement exagérée: «Oui, on avait tous foncé droit dans le mur dans les années 1990. Mark avait dit que c’était comme «planter une voiture tous ensemble». Mais on s’était revus après quelques mois et tout était redevenu comme avant.» Le temps soigne – presque – toutes les plaies. Le véhicule est retapé, le moteur marche comme jamais. Ça ressemblerait presque au début d’une nouvelle histoire. ■
Ride, «Interplay» (Wichita/PIAS)