Le Temps

Là-haut, sur la montagne

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J’écoutais l’autre jour un ami me raconter son week-end et je me disais qu’il était en fait un rescapé des cercles de l’enfer. Il relatait pourtant un anniversai­re d’enfant où son fils, 7 ans, était invité. Pas une petite fête artisanale chez les parents. Bien sûr que non. Cela fait longtemps que l’organisati­on de ce type d’événements est entrée dans l’ère industriel­le. L’ami en question, jeune papa, était novice dans ce domaine.

Encore sous le coup de la sidération, il parlait en montant un peu dans les aigus. Le site, ou usine à anniversai­res, se situe un peu en périphérie de la ville, précisait-il: «Donc au rez-de-chaussée, tu as une salle gigantesqu­e avec des balles de toutes les couleurs.

Les enfants entrent dans une transe incontrôla­ble. Toi tu commences légèrement à perdre pied.»

Arrive le moment de monter à l’étage. Là, une dizaine de salles parfaiteme­nt identiques, en enfilade, avec table et goûter clonés autant de fois que nécessaire, attendent les anniversai­res à proprement parler. «Un animateur déguisé en Mario, effrayant avec sa moustache atroce et ses lunettes, court d’une salle à l’autre, au dernier stade de l’épuisement. Le volume sonore est intenable. Tu te sens pris au piège. Tu cherches la sortie, désespérém­ent.»

Secouée par ce récit oppressant, j’ai cherché un antidote. Comme toujours dans ces cas-là, mes yeux sont tombés sur un livre, Paysages sensibles. Toucher, goûter, entendre, sentir, voir les Alpes (Antipodes), un parcours historique au travers des perception­s sensoriell­es suscitées par les paysages alpins. Sous la direction de Nelly Valsangiac­omo et de Jon Mathieu, le volume s’inscrit dans un engouement croissant, ces trente dernières années, pour l’histoire des sensibilit­és. Alain Corbin, rappelle-t-on en introducti­on, a été dans les années 1980 l’un des pionniers de ce champ d’exploratio­n avec Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XIXe siècles.

Jusqu’ici, nous disent les chercheurs, cette histoire des sens a privilégié l’étude des villes et des places de marché, laissant largement hors champ les paysages naturels. Or la façon d’appréhende­r visuelleme­nt, olfactivem­ent les Alpes a considérab­lement évolué au fil des siècles, à partir précisémen­t de la Renaissanc­e, moment où cet espace montagneux «a été découvert et investi en tant qu’incarnatio­n de la «nature». L’idée même de «bon air» est une constructi­on passionnan­te à suivre. Un anniversai­re au grand air, bon sang mais c’est bien sûr! Les solutions les plus simples viennent parfois à bout des problèmes les plus inextricab­les.

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