Heurs et malheurs d’un écrivain à succès
Avec «La Vie des choses», Marc Agron signe une désopilante satire du monde de l’édition doublée d’un hommage transi à la littérature
Les artistes et leurs rêves, souvent déçus, de succès, de gloire, miroir grossissant des aspirations de tout un chacun à être reconnu à quelque niveau que ce soit: Marc Agron se saisit à bras-le-corps de ce motif clownesque dans La Vie des choses, satire du monde des livres et plus largement du monde culturel, écartelé entre commerce lucratif et création détachée de toute contingence.
L’exercice peut vite s’essouffler, l’outrance, moteur du genre, atteindre rapidement un point de saturation. L’auteur déjoue les pièges, mariant à l’exercice les ingrédients du romanesque: intrigue qui fait tourner les pages pour connaître la suite et personnages convaincants voire attachants dans leur énormité. A quoi s’ajoutent un humour de situation efficace et un hommage amoureux à la littérature, qui lestent l’ensemble. On traverse ainsi La Vie des choses comme au volant d’une décapotable, en riant beaucoup et en notant quelques titres de livres à lire ou relire.
Déchéance douloureuse
Au coeur du roman, un écrivain bien sûr, Yann Mendelec, qui épouse les contours de plusieurs auteurs à succès et dans lequel on reconnaît aussi plusieurs traits de Marc Agron lui-même. Le livre s’ouvre sur la douloureuse déchéance du personnage. Alors que Yann Mendelec se trouvait au firmament du succès depuis plus de dix ans, son dernier roman se fracasse contre l’indifférence des lecteurs: «Ne pouvant l’écouler aussi facilement que prévu, l’éditeur l’avait d’abord soldé. Dans la boutique d’un hall de gare, il avait même été déposé à côté du rayon «alimentation et bricolage» et offert à l’achat d’un traité de cuisine moléculaire écrit par un chef étoilé, lui aussi en mal de lecteurs.»
Comment survivre à une telle honte? Par l’ascèse et le repentir. Yann Mendelec doit en convenir, la vanité l’a égaré. N’avait-il pas demandé, dès son premier livre, que sa notice biographique sur la quatrième de couverture indique qu’il se «consacre désormais à l’écriture» alors qu’il était serveur dans un bar deux soirs par semaine et chroniqueur pour Chasse et Pêche?
Un des ressorts comiques de La Vie des choses est de placer le malheureux Yann dans la situation de se comparer avec ses illustres et nombreux prédécesseurs. Bibliophile par accident (sa femme, grande lectrice, a hérité d’une bibliothèque de livres du XVIIIe siècle), lecteur de Proust mais pas de Joyce auquel il ne comprend rien, Yann Mendelec, infatué de son talent jusqu’à l’aveuglement, n’a de cesse d’inscrire son parcours dans l’histoire millénaire de la littérature.
L’écrivain tombé dans l’oubli se retire alors du monde pour écrire LE livre dont il rêve, en rupture totale avec ce qui avait fait jusqu’ici son succès. Trois ans de retraite dont il ne sort que pour déposer son manuscrit, intitulé «La Vie des choses», sur le bureau de Louis van Berg, son éditeur historique, un ami devenu requin, ne reculant devant rien, absolument rien, pour atteindre les meilleures ventes.
Mise en scène machiavélique
A ce stade, le personnage pathétique de Yann a aussi déployé son charme de perdant mélancolique, prenant du poids à force d’écrire au point de s’approcher d’un fitness sur les conseils d’amis: «Traits tirés et casques sur les oreilles, tels des zombies aveugles, les sportifs du soir obéissaient à un colosse épilé qui n’avait pas l’air de plaisanter. Il fit demi-tour, et courut jusqu’à sa maison à toute vitesse, comme s’il fuyait un assaillant. Il voulait bien trouver un coach individuel, gentil, avec lequel il parlerait littérature, politique, et un peu de sport en marchant.»
Contre toute attente, Louis van Berg décèle un potentiel best-seller dans le nouveau manuscrit de Mendelec. Se met en place une machiavélique mise en scène pas si échevelée que cela puisque Romain Gary y a eu recours: signer le roman du nom d’un écrivain fictif pour prendre tout le monde à revers et se libérer du carcan de la célébrité. Mais La Vie des choses pousse la fiction bien au-delà de ce cas historique, jusqu’à un paroxysme digne d’un feuilleton fantastique.
■