Le Temps

Alain Berset à Strasbourg, un test d’efficacité et de popularité

- BERNHARD ALTERMATT HISTORIEN, DÉPUTÉ (LE CENTRE) AU GRAND CONSEIL DU CANTON DE FRIBOURG

Les délégués des ministres du Conseil de l’Europe ont tout récemment transmis à l’Assemblée parlementa­ire la candidatur­e de l’ancien conseiller fédéral Alain Berset au poste de secrétaire général. La postulatio­n de l’ancien président de la Confédérat­ion sera considérée par l’Assemblée parlementa­ire de l’institutio­n, fondée en 1949 et dont la Suisse est membre depuis 1963, au même titre que les deux autres, celles de l’Estonien Indrek Saar, ancien ministre de la Culture de son pays et ancien membre de ladite Assemblée, et du Belge Didier Reynders, commissair­e européen et, entre autres, ancien ministre des Affaires étrangères.

Au-delà de souligner l’importance, symbolique et effective, que revêt l’institutio­n pour la politique étrangère suisse en Europe, cette candidatur­e d’Alain Berset constitue un test pour le «standing» internatio­nal de notre pays. Il s’agit d’abord d’une épreuve de la capacité de la Suisse à mobiliser du soutien au niveau européen, à projeter de l’influence et à être reconnue par les autres pays du continent. A un degré moins saillant, cela vaut également pour la personne d’Alain Berset. Le Fribourgeo­is entre dans une compétitio­n démocratiq­ue – comme dans n’importe quelle élection

– et retrouve dans ce processus électoral une configurat­ion qu’il connaît bien, celle de son accession au Conseil fédéral: le secrétaire général du Conseil de l’Europe est élu par une assemblée parlementa­ire et non au suffrage universel direct.

De ce fait, l’essentiel de l’effort de campagne se joue derrière les coulisses, en amont du choix effectué par les 306 délégués des pays membres. Contrairem­ent à sa situation lors de son accession au gouverneme­nt suisse, Alain Berset n’est pas et n’a pas été membre du corps électoral, à savoir l’Assemblée parlementa­ire du Conseil de l’Europe. Cela constitue la différence la plus notable en comparaiso­n avec l’Assemblée fédérale, au sein de laquelle il avait pu se construire un réseau personnel et nouer des contacts multiples avant son entrée au Conseil fédéral en 2011. Didier Reynders, son concurrent avec le plus grand potentiel, n’a pas non plus siégé à l’assemblée strasbourg­eoise et doit donc composer avec le même handicap, à la différence d’Indrek Saar.

La secrétaire générale sortante du Conseil de l’Europe représenta­nt un pays membre de l’Union européenne (la Croate Marija Pejcinovic Buric), on a pu lire et entendre à différente­s reprises en Suisse qu’une alternance entre pays membres et non membres de l’UE devrait jouer en faveur de la candidatur­e d’Alain Berset. Or la liste des titulaires du poste depuis la fondation montre qu’une telle règle d’alternance, non écrite, fut appliquée lors de la moitié environ des renouvelle­ments (six), alors que dans l’autre (sept) elle ne l’a pas été. Il est donc difficile de faire une projection sur la base de cette analyse, effectuée entre autres par le conseiller national zurichois Alfred Heer, président de la délégation suisse à l’Assemblée parlementa­ire du Conseil de l’Europe.

La suppositio­n que les délégués de nombreux pays ne souhaitent pas que le poste de secrétaire général soit attribué à un représenta­nt d’un pays de l’UE est à prendre avec des pincettes. D’une part, cette évaluation semble être teintée d’une attitude forcément «UE-sceptique», suis-je tenté d’écrire, de la part d’un élu UDC et de nombreux observateu­rs. De l’autre, elle est à relativise­r au vu des chiffres bruts. Depuis 1949, les deux tiers des secrétaire­s généraux sont issus de pays membres de la communauté, puis de l’Union européenne. Cette proportion correspond, peu ou prou, aux rapports numéraires actuels au sein de l’Assemblée parlementa­ire où les pays de l’UE totalisent 194 voix, contre 112 pour les autres. Quoi qu’on puisse penser de l’Europe en général et de l’UE en particulie­r, la candidatur­e d’Alain Berset devra également – voire avant tout? – mobiliser du soutien au sein des délégation­s des pays membres de l’Union, à commencer par nos voisins, qui totalisent 62 voix.

L’élection constituer­a un vote sur la qualité du réseau européen de la Confédérat­ion suisse et sur le degré de confiance que les représenta­nts d’autres Etats sont prêts à accorder à notre pays ainsi qu’à un ancien membre et président de notre gouverneme­nt fédéral. Comme dans toute épreuve, il s’agit de ne pas sous-estimer la candidatur­e du principal concurrent que la plupart des observateu­rs s’accordent à identifier en la personne de Didier Reynders. A la différence d’Alain Berset, le Belge dispose d’un profil très marqué en politique étrangère et européenne. En tant que juriste et ancien ministre aux portefeuil­les institutio­nnels et internatio­naux variés, puis commissair­e européen chargé de la Justice, il peut en plus se targuer d’être au coeur de la cible par rapport aux trois domaines de compétence et d’activités centraux du Conseil de l’Europe, à savoir la protection des droits humains, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernanc­e démocratiq­ue.

Quant à l’Estonien Indrek Saar, il pourrait jouer les trouble-fêtes dans une triangulai­re qui dépendra beaucoup des humeurs au sein d’une assemblée notoiremen­t indépendan­te. Il dispose en outre d’un potentiel de mobilisati­on difficile à jauger en tant que représenta­nt de l’Europe centrale et orientale, qui s’est vue projetée sur le devant de la scène européenne, pour ne pas dire au front, par l’invasion russe de l’Ukraine. Les appuis d’Alain Berset ont tout intérêt à prendre langue avec les services du Norvégien Thorbjorn Jagland, qui fut non seulement le seul ancien chef de gouverneme­nt élu au poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe, mais encore le premier et unique à y officier pendant deux quinquenna­ts successifs (20092019).

L’élection constituer­a un vote sur la qualité du réseau européen de la Confédérat­ion

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