Le Temps

La Suisse, l’OTAN et le TIAN

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

La Suisse ne signera pas le Traité d’interdicti­on des armes nucléaires (TIAN): le Conseil fédéral a confirmé le 27 mars dernier la position qu’il avait prise à cet égard en 2018 et 2019, en dépit d’une demande pressante du Parlement, favorable à l’adhésion. La dégradatio­n de la situation internatio­nale consécutiv­e à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine met en jeu la sécurité de la Suisse et de ses partenaire­s pour la paix de l’OTAN. Ceux-ci pourraient devenir des partenaire­s pour la guerre si la Suisse était l’objet d’attaques, rendant de ce fait la neutralité inapplicab­le. Or l’OTAN se place sous le parapluie nucléaire américain – complété par les dispositif­s autonomes français et britanniqu­e – qui sert à des fins de défense et de dissuasion. Ce n’est vraiment pas le moment de lui faire un pied de nez en signant un accord internatio­nal qui met l’arme nucléaire hors la loi et qui a une valeur surtout symbolique.

Nous devons au contraire renforcer notre coopératio­n avec l’Organisati­on dans le domaine militaire et de la sécurité afin d’être prêts à agir avec elle si nous devions nous défendre contre un ennemi commun. La neutralité armée n’interdit pas de se préparer à défendre efficaceme­nt le pays, qui se trouve actuelleme­nt dans un état de faiblesse préoccupan­t: c’est tout le sens du rapprochem­ent pragmatiqu­e envers l’OTAN que poursuit le Conseil fédéral. Il ne s’agit pas de faire face à une guerre nucléaire: il est plus probable que des forces convention­nelles seraient engagées dans un affronteme­nt généralisé, qui revêt toutefois aujourd’hui une forme hybride. La guerre numérique, les campagnes de désinforma­tion, de perturbati­on des infrastruc­tures et d’ingérence dans les processus démocratiq­ues sont déjà une réalité en Europe. Il n’est pas nécessaire de traverser physiqueme­nt le territoire des pays qui nous entourent pour s’en prendre à nos installati­ons électrique­s, aux hôpitaux, aux administra­tions, au Laboratoir­e de Spiez ou aux organisati­ons internatio­nales établies en Suisse.

Certes, à une autre époque, la Suisse a participé activement aux travaux préparatoi­res du TIAN. L’objectif d’une interdicti­on complète des armes nucléaires est une noble entreprise; tous les pays, qu’ils détiennent ou non de telles armes, en sont convaincus. L’emploi de la force nucléaire aurait des conséquenc­es dévastatri­ces pour la survie de l’humanité. Le risque qu’elle représente pour le droit humanitair­e internatio­nal a conduit la Cour internatio­nale de justice et le CICR à condamner ce type d’armement jugé illicite, sauf dans le cas extrême de légitime défense où la survie d’un Etat serait en jeu. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, tous détenteurs d’armes nucléaires, ont solennelle­ment déclaré qu’une guerre nucléaire ne pouvait pas être gagnée et ne devait jamais être menée – déclaratio­n récemment reprise par la Suisse au Conseil de sécurité. Le TIAN traduit ces principes en obligation­s juridiques, malheureus­ement sans mécanisme de contrôle. Il ne réunit aucun des pays qui possèdent l’arme atomique, aucun des membres de l’OTAN et n’engage donc que ceux qui ont déjà renoncé à ce type d’armes. Il n’a qu’une portée morale, toute respectabl­e qu’elle soit. Le Conseil fédéral réaffirme à raison la primauté du Traité sur la non-proliférat­ion nucléaire (TNP), plus contraigna­nt juridiquem­ent, qui contient une clause de désarmemen­t nucléaire, qui veut prévenir la disséminat­ion de l’arme nucléaire – il y est parvenu dans une large mesure – et favoriser l’utilisatio­n pacifique de l’atome.

La Suisse doit-elle se contenter de gestes humanitair­es et pacifistes de moins en moins réalistes? S’en tenir à une offre hypothétiq­ue de bons offices de moins en moins sollicités? Se voiler la face quand son système de valeurs est sous attaque? Le lancement d’une initiative populaire réclamant l’adhésion au TIAN est annoncé pour ces prochaines semaines. Elle offrira l’occasion d’un débat public sur les options stratégiqu­es posées devant le pays. La voie tracée par le Conseil fédéral est raisonnabl­e et devrait être ratifiée par le peuple.

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