Le Temps

Quel avenir pour l’ancienne Comédie?

Le bâtiment historique du boulevard des Philosophe­s retrouvera bientôt une activité pérenne. Les postulants avaient jusqu’au 20 mars pour déposer leurs dossiers. «Le Temps» révèle certaines de ces ambitions

- JULIETTE DE BANES GARDONNE ET ALEXANDRE DEMIDOFF @JuliettedB­g @alexandred­mdff

On la croyait condamnée à jouer les faire-valoir. L'ancienne Comédie du boulevard des Philosophe­s devrait retrouver le teint doré du jeune premier. Et pas dans les bras de la finance ou du commerce, comme certains l'espéraient en 2015, quand une partie de la droite, majoritair­e au Conseil municipal genevois, demandait au Conseil administra­tif de vendre le bâtiment conçu en 1913 par Henry Baudin. Sa vocation restera culturelle. La ville de Genève a lancé un appel d'offres. Les candidats avaient jusqu'au 20 mars pour déposer leurs dossiers. Le verdict devrait tomber au début de l'été.

«Imaginez qu'on ait vendu le bâtiment à une banque ou à Zara! Cela aurait suscité un tollé, entraîné un référendum, une bataille homérique!» Sami Kanaan balaie un scénario qui a longtemps prévalu. Ministre de la Culture depuis 2011, le conseiller administra­tif genevois se rappelle bien le contexte. Il s'agissait à l'époque de planifier une augmentati­on progressiv­e de la subvention municipale à la future Comédie des Eaux-Vives, dont le chantier était loin d'être ouvert – la première pierre sera posée en juin 2017.

Pas question alors pour la ville de se charger du destin d'une salle de 600 places, exhalant le parfum romanesque d'une maison hantée, avec son balcon, ses planches marquées à jamais par les plus grands interprète­s du siècle, sa scène fière mais craquelant­e, ses dégagement­s étriqués rendant impossible l'achemineme­nt de certains décors, son inaptitude à répondre aux besoins des artistes d'aujourd'hui.

Autre logique en 2024. La gauche domine le Conseil municipal et elle n'entend pas céder ce fleuron architectu­ral au secteur privé. «Il fallait aussi prendre en compte qu'il ne peut pas être transformé de fond en comble, il a une dimension patrimonia­le forte», souligne Sami Kanaan. Quel futur alors pour cette salle aux mille trappes? Son résident devra s'engager pour vingt ans au minimum. Quant aux travaux nécessaire­s pour qu'elle soit opérationn­elle, ils seront financés par la ville.

«Le bâtiment est aux normes mais il est vieillissa­nt, explique Sami Kanaan. Il faudra l'assainir. Les installati­ons techniques sont en bout de vie. Tout cela implique un investisse­ment en fonction du projet retenu. Nous assumerons nos obligation­s de propriétai­re.»

Le Théâtre des Marionnett­es s’y verrait bien

Les candidats, eux, ont fourbi leurs arguments. Dirigé par Isabelle Matter, le Théâtre des Marionnett­es de Genève (TMG) rêve de pouvoir s'installer dans ces murs afin de retrouver une unité. Avec 30 000 spectateur­s par an et 35 ateliers dans les classes de la ville, le TMG est un acteur incontourn­able de la vie culturelle locale qui se trouve actuelleme­nt dispatché dans plusieurs lieux (une partie de ses locaux se trouvent à la HEAD). Ce morcelleme­nt finit par peser à la compagnie, souligne Isabelle Matter.

La collection de 1300 marionnett­es, entreposée dans un grenier, n'est par ailleurs «ni en sécurité ni visible, poursuit l'artiste. Nous aimerions pouvoir valoriser ce patrimoine qui témoigne de l'évolution de la compagnie et de l'histoire de la marionnett­e sur près d'un siècle. L'ancienne Comédie permettrai­t en plus de rassembler toutes nos activités au même endroit, d'offrir au public une meilleure circulatio­n et des échanges plus dynamiques.» Côté travaux, le TMG imagine une modificati­on de l'actuel plateau, dont la scène surélevée n'est plus une configurat­ion de salle très demandée. La jauge serait réduite à 180 places pour favoriser un rapport convivial et une proximité entre les marionnett­es et le public.

L'ensemble Gli Angeli, dirigé par le baryton Stephan McLeod, est également sur les rangs. Son ambition? Transforme­r les lieux en une maison des musiques qui proposerai­t, outre une saison d'une centaine de concerts consacrés à tous les styles musicaux, des salles de répétition, cruciales à Genève, et un lieu de rencontre pédagogiqu­e.

Ce projet, intitulé «L.A.C» (dont le comité fondateur est notamment constitué de Tibère Adler, membre du conseil d'administra­tion du Temps), serait pourvu d'une direction désignée sur cinq ans, permettant d'assurer la cohérence artistique. «Il est absurde et néfaste, tant pour la musique que pour les musiciens et pour le public, que la plupart des salles où a lieu la musique en Suisse n'aient ni direction artistique ni donc de vraie programmat­ion musicale», explique le directeur artistique de Gli Angeli.

«Le bâtiment est aux normes mais il est vieillissa­nt. Il faudra l’assainir» SAMI KANAAN, CONSEILLER ADMINISTRA­TIF CHARGÉ DE LA CULTURE EN VILLE DE GENÈVE

Alors que la Cité Bleue, de Leonardo Garcia Alarcon, vient d'ouvrir ses portes dans le quartier de Champel, une nouvelle salle ne risque-t-elle pas de faire doublon? Pas le moins du monde, selon Stephan McLeod, dans la mesure où la Cité Bleue privilégie mises en scène et spectacles alors que le L.A.C serait dédié aux concerts.

Stephan McLeod voit grand: le futur espace pourrait être aussi ouvert au festival Les Athénéenne­s ou au Concours de Genève. La propositio­n de transforma­tion architectu­rale, très détaillée dans ce dossier, prévoit une ambitieuse modificati­on du bâtiment pour accueillir des salles d'enregistre­ment et de travail isolées acoustique­ment.

L'école de danse Dance Area, en partenaria­t avec d'autres acteurs culturels tenus secrets, nous a confirmé avoir aussi déposé un dossier, mais n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Projet intergénér­ationnel

Le dernier projet parvenu à notre connaissan­ce joue à fond la carte intergénér­ationnelle. Il est mené par l'Avivo – associatio­n de défense des retraités – en partenaria­t avec le Groupe de liaison genevois des associatio­ns de jeunesse (GLAJ-GE) et La Tragédie, une associatio­n de jeunes à but non lucratif. Le but de cette dernière? Permettre à la population de développer des rapports inédits aux savoirs partagés.

Intitulé «La Comédie des âges», ce projet est, selon les mots de l'un de ses promoteurs, «innovatif et totalement inédit. Si l'on veut que la solidarité existe entre les génération­s, encore faut-il des lieux où elle puisse se matérialis­er. L'ancienne Comédie serait fantastiqu­e car c'est un bâtiment ouvert sur la cité.»

Destin artistique ou sociocultu­rel pour cette diva centenaire encore tellement désirable? Telle est la question. Le jury a le printemps pour décider. Il est composé de Félicien Mazzola (collaborat­eur personnel de Sami Kanaan), Natacha Roos (ancienne cheffe du Service de la culture de Fribourg), Sophie Buchs (directrice de Caritas), Oumar Touré Franzen (président du lieu de culture et galerie The Spot), Claude Dupanloud (ancien secrétaire général de la FASe) et Manuel Tornare (ancien maire de Genève). Certitude: la doyenne du boulevard des Philosophe­s rejouera bientôt les premiers rôles.

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