Assouvir un désir d’objets
C’est le Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains à Lausanne qui a lancé la saison surréaliste de Plateforme 10 en interrogeant, dans une exposition riche et didactique, les liens entre surréalisme et design
Le surréalisme est d'abord affaire de texte. Ce sont les poètes, ce sont les mots et leurs associations inconscientes, automatiques, magiques et poétiques que convoque au premier chef André Breton lorsqu'il rédige, en 1924, le premier Manifeste du surréalisme, dont on fête cette année le centenaire. Mais les objets ne sont pas loin. Breton évoquera, plus tard et à leur propos, citant Lautréamont, la célèbre «machine à coudre» et le «parapluie», dont la «rencontre fortuite sur une table de dissection» constitue une image possible de la beauté. C'est d'ailleurs par la formule du comte de Lautréamont que Mateo Kries, directeur du Vitra Design Museum à Weil am Rhein, en Allemagne, et commissaire, introduit la «brève histoire du design du surréalisme», qui ouvre le beau catalogue de l'exposition, Objets de désir. Surréalisme et design, qu'il a conçue et que l'on peut voir au Mudac.
Que trouve-t-on sur la table de dissection du commissaire Mateo Kries? Toute une série de meubles, d'objets produits en série par des designers ou des artistes, des documents, des photographies, des extraits de films, des ambiances recréées. Voici un exemplaire du fer à repasser bardé de clous, Cadeau/Audace, imaginé en 1921 par Man Ray; voilà les gants bleu clair bordés de fines veines rouges, conçus par Meret Oppenheim (Gants, 1985).
Une passion pour les choses, l’étonnante capacité de les activer, les enchanter
Cette table à roue – (Tour, 1993) – de l'architecte Gae Aulenti salue la Roue de bicyclette plantée sur un tabouret par Marcel Duchamp en 1913. Le canapé en forme de bouche rouge Bocca (Gufram/ Studio 65), icône des années 1970, trône sur l'affiche et devant le Visage de Mae West pouvant être utilisé comme appartement surréaliste de Salvador Dali, dont une reproduction géante figure au mur. Les points de repère sont là: onirisme, détournements d'objets, ready-made, érotisme, inspiration sauvage. La progression est un peu didactique, mais il faut reconnaître que la profusion d'images et de choses permet à chacune et chacun de tracer son propre itinéraire surréaliste.
Le plus intéressant, sans doute, dans cette exposition, n'est pas dans les grandes reproductions de Dalí ou Chirico qui crient sur les murs, dans les larges canapés ou les objets d'aujourd'hui censés témoigner d'un héritage surréaliste. Le plus intéressant est dans les détails.
Le bonheur de regarder, détourner, collectionner
C'est dans les photographies, dans les livres et catalogues, dans les petites choses poétiques disposées dans les vitrines que l'on comprend, que l'on retrouve ce bonheur absolu, émerveillé, plein d'humour et d'audace, avec lequel les surréalistes ont regardé, détourné et collectionné toutes sortes d'objets: objets trouvés, objets naturels, objets perturbés, objets américains, objets océaniens, objets mathématiques, etc. Ici, une photographie témoigne de L’exposition surréaliste d’objets, organisée en mai 1936 chez Charles Ratton, là, une autre montre une vue de l'exposition E.R.O.S à la Galerie Daniel Cordier en 1956. Tout un mur de clichés atteste des manies de collectionneurs de Max Ernst, d'André Breton, de Peggy Guggenheim et de beaucoup d'autres. Editions, revues, séries photographiques, bouts filmés témoignent de cette passion pour les choses et de l'étonnante capacité du surréalisme à les activer, les associer, les enchanter. Et on comprend alors pourquoi les designers ont trouvé dans l'imaginaire surréaliste de si fécondes propositions.
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