Le Temps

Action collective en Suisse: l’heure de vérité

- SOPHIE MICHAUD GIGON CONSEILLÈR­E NATIONALE (LES VERT.E.S/VD); SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA FRC

C'est quitte ou double. Après des années, on saura – première étape en avril – si les membres du parlement sont enfin prêts pour discuter d'un meilleur accès à la justice pour les consommate­urs et les PME de Suisse.

En 2013, une motion demandant l'introducti­on de ce mécanisme avait été validée sans opposition par la commission juridique du parlement. Aujourd'hui, une simple entrée en matière semble être un obstacle difficilem­ent franchissa­ble pour la commission qui a déjà demandé par deux fois à l'administra­tion de lui fournir des rapports complément­aires.

De quoi s'agit-il? En Suisse, il n'est pas encore possible de se regrouper pour obtenir justice. Contrairem­ent à beaucoup de nos voisins européens, la Suisse ne dispose à ce jour d'aucun mécanisme procédural probant permettant à un nombre important de personnes touchées par un même problème d'agir ensemble. Saisir la justice représente un investisse­ment important, financier évidemment, mais aussi en énergie et en temps. Par conséquent, énormément de personnes y renoncent lorsqu'elles subissent un dommage.

On ne présente plus le scandale VW, qui a touché, en 2015,

175 000 véhicules en Suisse sans qu'aucun de ses détenteurs, particulie­rs ou PME, n'ait été indemnisé. Dans les pays dont les habitants peuvent agir ensemble en justice, plusieurs ont déjà été dédommagés. Injustice, vous dites? Oui. Et déséquilib­re dans les rapports de force et les moyens à dispositio­n. Le bon sens voudrait que l'on puisse se regrouper au tribunal pour limiter les coûts et mettre une affaire dans les mains d'un seul juge au lieu de disséminer les procédures à travers le pays.

A la place, des bricolages ont été tentés par le passé pour obtenir justice. Ces montages ont échoué pour des seuls motifs de procédure. Et à chaque fois, l'entreprise fautive a été épinglée médiatique­ment.

Le Conseil fédéral a reconnu le problème et adopté, en 2021, un projet de loi pour introduire une action collective en Suisse. Pour s'assurer que seules des demandes fondées soient déposées et éviter des mauvaises incitation­s, la demande doit être soumise au juge pour un contrôle d'admission préalable.

Autre frein, le projet propose que seules les organisati­ons à but non lucratif puissent agir et faire valoir, à leurs propres risques (et ils sont très importants), les droits des personnes concernées. La FRC l'aurait fait pour le cas VW. L'originalit­é du projet helvétique: les PME seraient aussi bénéficiai­res de cet instrument par l'intermédia­ire de leurs organisati­ons faîtières.

C'est une bonne chose qu'elles puissent regrouper leurs forces face à un grand groupe qui les aurait lésées.

Même s'il peut encore être amélioré, le projet du Conseil fédéral est libéral et équilibré. Malgré cela, une opposition de principe a été exprimée depuis des années par certaines faîtières économique­s traditionn­elles. Après des années d'efforts de sensibilis­ation, j'entends encore des comparaiso­ns avec la class action américaine (ou plus proche de nous, néerlandai­se). Ces peurs sont infondées, le système juridique suisse n'étant pas comparable et c'est tant mieux: les avocats ne sont pas payés à la commission, seuls les frais effectifs peuvent être dédommagés contrairem­ent aux sommes extravagan­tes articulées aux Etats Unis, et la partie plaignante doit supporter les risques. Vous ne déposez donc aucune plainte «juste pour voir et pour faire pression».

Et pour ceux qui caressent l'illusion de protéger nos grandes entreprise­s en s'opposant à un meilleur accès à la justice en Suisse, sachez qu'elles peuvent tout à fait être l'objet de plaintes provenant des autres pays, puisque quasiment tous les membres de l'UE possèdent un mécanisme similaire, certains depuis une vingtaine d'années.

Il est donc plus prometteur de respecter la loi plutôt que de s'opposer à l'action collective en Suisse. C'est d'ailleurs également loyal envers les entreprise­s honnêtes. Heureuseme­nt, d'autres organisati­ons économique­s sont ouvertes et préconisen­t au moins d'entrer en matière.

Ainsi, plutôt que de dire non par anticipati­on ou ignorance du projet, nous devrions nous atteler à un débat parlementa­ire qui accouche d'un bon projet helvétique sobre et efficace. C'est pour cela que nous sommes élus en vérité. ■

Même s’il peut encore être amélioré, le projet du Conseil fédéral est libéral et équilibré

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