Le Temps

Le sparadrap russe du RN

- PAUL ACKERMANN CORRESPOND­ANT À PARIS

Pour vivre heureux, vivons cachés. On a beaucoup parlé de la très efficace stratégie du Rassemblem­ent national depuis les élections de 2022: faire profil bas et jouer la respectabi­lité afin de n'offrir aucune prise aux procès en extrémisme.

En se présentant comme «très respectueu­x des instances républicai­nes», en limitant drastiquem­ent les prises de parole de ses députés, en ne proposant absolument rien de neuf, le principal parti d'opposition français réussit à éviter les polémiques et donc la mise en lumière de ses démons (passés ou présents). Ses aspects effrayants et repoussoir­s lui ont effectivem­ent coûté les deux dernières élections présidenti­elles dans la dernière ligne droite. En partant du principe que ses positions populistes sur l'islam, l'immigratio­n, l'Europe ou les élites sont connues de tous et qu'il n'y a donc pas besoin de les remettre en avant, il peut surfer sur les colères sans s'exposer pour autant. Et ça marche: l'insolent succès du RN dans les sondages le prouve.

Problème, il y a un gros caillou dans la chaussure de ce plan qui se déroule par ailleurs sans accroc. Un caillou qui date d'avant 2022: la proximité idéologiqu­e et financière du parti d'extrême droite avec le régime de Vladimir Poutine. C'est probableme­nt une des raisons pour lesquelles Emmanuel Macron a décidé de faire de la guerre en Ukraine le principal sujet de sa campagne en vue des élections européenne­s de juin. Forcer le RN à se positionne­r sur la stratégie française face à Moscou, c'est la garantie de faire ressortir cette amitié passée et une gêne bien actuelle.

Dernière occurrence en date de ces remontées acides, le président du RN Jordan Bardella a été obligé de lâcher jeudi qu'il était contre une sortie de commandeme­nt intégré de l'OTAN tant que «la guerre est toujours en cours». Et ce, bien que le programme présidenti­el de Marine Le Pen stipule toujours que son pays doit quitter ce commandeme­nt «que nous avait fait réintégrer le président Sarkozy». Car, au nom de «l'indépendan­ce» de la France, l'anti-atlantisme est viscéral chez les Le Pen. Moins chez Bardella. Et, surtout, il n'est pas à la mode ces derniers temps, au vu des menaces qui pèsent sur l'Europe.

«On ne change pas les traités en période de guerre», justifie Jordan Bardella qui ne veut pas s'opposer sur le fond au programme de Marine Le Pen. Car l'autre caillou qui menace l'efficace mécanique RN, c'est la rumeur montante de tensions et de divergence­s de vues entre le très populaire président du parti et l'éternelle candidate aux élections présidenti­elles. Dans cette formation au fonctionne­ment intrinsèqu­ement vertical, la concurrenc­e des ambitions a toujours mené au déchiremen­t. L'exclusion de Bruno Mégret à la fin des années 1990 reste un souvenir traumatiqu­e.

La sphère politico-médiatique française scrute donc de très près les éventuels signes de fissures dans le bloc à deux têtes qui dirige de facto le Rassemblem­ent national depuis les dernières élections. Et tout le RN est mobilisé depuis jeudi pour affirmer qu'il n'y en a aucune, même sur le dossier de la Russie et de l'OTAN. Mais, avec sa réponse, Jordan Bardella s'est quoi qu'il en soit pris les pieds dans le tapis. Pour une simple raison au moins: il a remis en lumière le principal point faible de son parti dans cette période troublée, c'est-àdire le fait que l'on soupçonne le RN de ne pas être le plus motivé pour défendre les Européens, et donc les Français, face à Vladimir Poutine. Celui qui est aussi tête de liste RN en vue des européenne­s n'arrange d'ailleurs pas son cas quand il déclare dans la même interview qu'entre Biden et Trump, son «coeur va plutôt à Trump». Celui-là même qui, s'il est élu, menace de quitter l'OTAN et de laisser l'Europe ainsi que la France seules face à l'agression russe. ■

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