Suisse-UE: quand le tout est plus que la somme de ses parties
Des esprits chagrins, en Suisse, disent que dans la relation Suisse Union européenne, ce sera toujours l'UE qui gagnera. Dès lors, à quoi bon négocier et renchérir? Le paquet explosera avant la fin des négociations. Vivons avec ce que nous avons et multiplions l'acquis d'ailleurs, comme d'habiles commerçants…
Ces augures démontrent une profonde méconnaissance de ce qu'est l'UE, sa vocation, le fondement de ses institutions ainsi que ses relations avec les pays tiers. Il est plus facile d'ignorer ce que veut l'UE que d'essayer de la comprendre, et de narguer la décision du Conseil fédéral qui a fait un immense pas en avant pour reconfigurer la relation.
L'UE a une vision et elle entend la réaliser. On ne peut en dire autant de la Suisse, dont les perspectives sont plus étriquées. Des petits et des grands succès ont certes été au rendez-vous jusqu'à présent. Mais en vérité, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une succession d'accords sectoriels dans les bilatérales I et II, savamment empilés les uns sur les autres. La négociation actuelle arrive à point nommé pour assurer à la Suisse une place de choix en Europe, mieux faite que les bien anciennes bilatérales, décidément vétustes et à l'ancrage instable.
Que voit-on sur la ligne du départ, quel est le trajet, où sont les obstacles et quel est le calendrier? La préparation de la négociation qui a débuté est solide, minutieuse presque à l'excès, entourée d'une étonnante transparence. La déclaration commune («Common Understanding») est un accord politique qui reflète le résultat de ce qui a été agréé après de longs mois; elle définit les paramètres et décrit les zones dites «d'atterrissage». Elle est plus qu'une «feuille de route», comme l'auteur de ces lignes l'appelait depuis des mois.
En effet, la Suisse et l'UE ont chacune adopté son mandat de négociations, la déclaration commune servant de pierre angulaire. Ainsi, il est difficile d'affirmer que la négociation débute sans avoir été solidement pensée. La carte ainsi tracée cache une partie, suisse, de ce territoire et de ses obstacles, que plusieurs attendent avec impatience.
Quant au calendrier, il est courageusement optimiste: conclure en 2024 est trop ambitieux. Cependant, il est impératif de conclure aussi rapidement que possible. L'année 2025 assurerait une négociation de bien meilleure facture, sans précipitation, et devrait permettre une appréciation plus large des résultats obtenus. En ligne de mire, le verdict du peuple suisse, qui devra donner son consentement en dernier lieu.
En ce qui concerne la solidité de l'édifice, il est vrai que la déclaration commune n'est pas contraignante, pas plus d'ailleurs que ne le sont les mandats. Toutefois, faire marche arrière pour la Suisse n'est politiquement guère plausible. Même conclusion: si la Suisse décidait de «suspendre» la négociation, il s'agirait là du scénario du pire avec des conséquences désastreuses.
Quels pourraient être les obstacles qui empêcheraient l'avance sereine des négociations? J'en vois principalement deux. En premier lieu, le volet institutionnel est essentiel. Il est une réplique, certains diront variante, du feu accord institutionnel et il a été sagement accepté par la Suisse, avec quelques réserves sur les mesures compensatoires.
Sans dimension institutionnelle, la négociation s'arrête. De nombreux autres aspects sont négociables (libre circulation des personnes, directive dite citoyenneté, dépenses des travailleurs détachés). Mais en aucun cas, la juridiction de la Cour de justice.
Il en va de même de la reprise dynamique du droit européen. Ces deux sujets ont été énoncés il y a plus de dix ans par l'UE, et ont maintenant été réglés de façon satisfaisante. Pensons par exemple au mécanisme de décision. La Suisse est à la table de négociation, sans droit de vote, néanmoins elle fait valoir ses vues et négocie fermement.
Deuxième obstacle, aussi lourd: comment intégrer la Suisse au marché intérieur européen de l'électricité et y participer et, simultanément, protéger le consommateur suisse? On peut se demander si plus généralement, le paquet n'est pas trop volumineux et si l'on ne devrait pas l'alléger en cas de blocage, par exemple en sortant l'électricité du tout et en gardant l'essentiel. Difficile débat et difficile changement de cap.
Enfin, pour ce qui est du qualificatif de «bilatérales III», il est à la fois juste et faux. Juste, car ces bilatérales ne sont qu'une adjonction à ce qui a précédé. Faux, car cette nouvelle négociation est quelque chose de plus important, et ce n'est pas simplement un complément. Pourquoi ne pas donner un nouveau nom à ce jeu d'accords et le dénommer «Accord de coopération»? Un accord fait sur mesure pour la Suisse, unique et destiné à durer.
La Suisse ne doit pas être liée par un texte en évolution difficilement contrôlable. Elle doit pouvoir gérer la relation avec l'UE à parts égales, en respectant les règles du grand marché et ses contraintes, qui ne sont pas différentes pour les Etats membres. Il est temps que la «montecarlisation» de la Suisse cesse. Il n'est plus possible pour elle de survivre quasi retirée, en vantant les bienfaits et avantages de l'isolationnisme, dans un univers économiquement globalisé. Plutôt miser sur la pérennité et l'ouverture. Ce qui ne signifie nullement abdiquer dans cette négociation, mais bien davantage et surtout revenir au réalisme. Une Suisse solitaire n'aurait plus sa place en Europe. ■
On peut se demander si plus généralement, le paquet n’est pas trop volumineux