Le Temps

A Gaza, une attaque contre l’humanitair­e

Après la tristesse et les vives critiques internatio­nales, la frappe d’Israël qui a tué lundi sept travailleu­rs humanitair­es de World Central Kitchen laisse place à une interrogat­ion: comment l’aide alimentair­e pourra-t-elle continuer d’arriver dans cette

- ALICE FROUSSARD, JÉRUSALEM X @alicefrsd

Lundi, c’était la première fois, depuis le début de la guerre, que des travailleu­rs humanitair­es étrangers étaient victimes de la guerre à Gaza. Après la mort de sept employés de World Central Kitchen dans une frappe, c’est la stupeur et la consternat­ion, y compris à Gaza. «Hier, à l’hôpital Al-Aqsa de Deir Balah, les habitants étaient abasourdis et sidérés: ils ne pensaient pas qu’Israël en arriverait à viser les internatio­naux, affirme Hind Khoudary, une journalist­e gazaouie, dans un message vocal reçu sur Instagram. Les Palestinie­ns présents se pressaient pour photograph­ier les passeports recouverts de sang des victimes.» Comme si certains avaient l’espoir que ce drame changerait quelque chose à la manière dont le monde les regarde.

«Ce sont des choses qui arrivent en temps de guerre» rétorquait dès mardi après-midi le premier ministre Benyamin Netanyahou, qualifiant les frappes «d’involontai­res». L’armée israélienn­e ne nie pas, mais se défend: elle «passe en revue l’incident tragique au plus haut niveau pour en comprendre les circonstan­ces» et évoque son attachemen­t «au droit internatio­nal». «Ce n’est pas seulement une attaque contre World Central Kitchen, c’est une attaque contre toutes les organisati­ons humanitair­es», réagissait Erin Gore, le président, dans un communiqué publié par l’ONG quelques heures après le drame. Ces atteintes «qui intervienn­ent dans les situations les plus désastreus­es, où la nourriture est utilisée comme une arme de guerre: c’est impardonna­ble», poursuit-il.

Trajet coordonné avec l’armée

Il faut dire que l’équipe de World Central Kitchen était clairement identifiée, comme pour tous les travailleu­rs des organisati­ons internatio­nales humanitair­es qui coordonnen­t chaque mouvement avec l’armée avant d’entrer dans la bande de Gaza, une condition sine qua non. Israël connaît ainsi l’heure de leurs déplacemen­ts, le lieu de départ et d’arrivée et l’identité des individus dans les voitures. Dans ce cas précis, le trajet des humanitair­es était coordonné en avance. Deux véhicules blindés de l’ONG flanqués du logo de World Central Kitchen et une voiture classique revenaient de l’entrepôt Deir al Balah peu après minuit après avoir déchargé 100 tonnes d’aide alimentair­e arrivée par le fameux corridor maritime lorsqu’elles ont été visées par des frappes. L’armée israélienn­e n’a pas tiré une, mais trois fois sur le convoi humanitair­e de World Central Kitchen, selon le quotidien Haaretz. Motif? Le soupçon de la présence d’un homme armé à l’intérieur d’un des véhicules. Or, il n’y en avait pas. Et les sept volontaire­s de l’organisati­on ont été tués sur le coup.

Un nouvel envoi d’aide humanitair­e sans encombres semble désormais impossible. Depuis des semaines déjà, des voix s’élevaient dans le milieu humanitair­e pour dénoncer l’existence d’un système parallèle d’achemineme­nt qui exclut les Nations unies et d’autres organisati­ons internatio­nales présentes de longue date dans l’enclave. «C’était très bien que World Central Kitchen puisse acheminer de l’aide alimentair­e dans le nord: les besoins y sont énormes. Mais pourquoi d’autres ONG et des agences de l’ONU ne pouvaient-elles pas le faire? Elles auraient aussi dû y accéder, sans entrave. Après cet incident, je doute que les organisati­ons envoient à nouveau du personnel étranger», relevait l’employé d’une grande ONG spécialisé­e dans le médical à Jérusalem, qui souhaite rester anonyme.

En février dernier, un convoi alimentair­e de l’UNRWA avait été visé par un missile de la marine israélienn­e alors qu’il se préparait à se diriger vers le nord. En en presque six mois de guerre, déjà 196 travailleu­rs humanitair­es palestinie­ns ont été tués, d’après les données compilées par l’Aid Worker Security Database (l’une des principale­s sources de la communauté humanitair­e). L’organisati­on Anera, deuxième acteur le plus important à Gaza après l’UNRWA, a d’ailleurs annoncé hier qu’elle suspendait ses activités.

Les Etats-Unis ont réclamé une enquête «rapide et impartiale» des autorités israélienn­es, comme l’ont fait d’autres pays, du Royaume-Uni à l’Australie.

«Clairement, aujourd’hui, il n’y a aucun moyen de travailler de manière sécurisée dans l’ensemble de la bande côtière», assure au Temps Alex Fort, logisticie­n pour Médecins sans frontières, qui réitère son appel à un cessez-le-feu. Il y a plus d’une semaine, une résolution dans ce sens a enfin été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Pour le moment, elle est restée sans effet.

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