Le Temps

«La nourriture n’est pas une arme de guerre»

RÉACTION Le restaurate­ur à succès José Andrés s’est lancé dans l’humanitair­e en 2010, à la suite d’un tremblemen­t de terre qui a dévasté Haïti. Il vient de perdre sept membres de son équipe à Gaza

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES X @vdegraffen­ried

Turquie, Maroc, Bahamas, Indonésie, Zambie, Cuba, Ouganda, Porto Rico, Ukraine, Gaza… à chaque situation de conflit violent ou de catastroph­e naturelle nécessitan­t une aide d’urgence, il est là, avec son équipe de cuisiniers bénévoles. L’énergique chef et restaurate­ur espagnol José Andrés, qui a aussi la nationalit­é américaine et réside la plupart du temps à New York, est l’homme derrière World Central Kitchen (WCK), l’ONG qui vient d’être touchée par une frappe israélienn­e à Gaza.

L’équipe de WCK circulait à bord de deux voitures blindées portant le logo de l’associatio­n et d’un troisième véhicule, lorsque le convoi a été touché dans la nuit de lundi à mardi lors d’une frappe imputée aux forces de défense israélienn­es. Elle venait de quitter l’entrepôt de Deir al-Balah, où elle avait déchargé plus de 100 tonnes d’aide alimentair­e humanitair­e acheminée à Gaza par voie maritime, précise l’ONG.

«Cesser de restreindr­e l’aide humanitair­e»

«Il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre WCK, mais aussi d’une attaque contre les organisati­ons humanitair­es qui intervienn­ent dans les situations les plus graves où la nourriture est utilisée comme arme de guerre. C’est impardonna­ble», a très vite commenté sa présidente, Erin Gore, qui parle d’attaque «ciblée». Les sept victimes sont originaire­s d’Australie, de Pologne, du Royaume-Uni, du Canada et des Etats-Unis, et de Palestine.

«J’ai le coeur brisé et je suis en deuil pour leurs familles et leurs amis et pour toute notre famille WCK. Ce sont des personnes… des anges… aux côtés desquels j’ai travaillé en Ukraine, à Gaza, en Turquie, au Maroc, aux Bahamas, en Indonésie. Ils ne sont pas sans visage… ils ne sont pas sans nom. Le gouverneme­nt israélien doit mettre fin à ce massacre aveugle», dénonce, sur X, José Andrés. «Il doit cesser de restreindr­e l’aide humanitair­e, de tuer des civils et des travailleu­rs humanitair­es et d’utiliser la nourriture comme une arme. Plus aucune vie innocente ne doit être perdue.»

Philippe Lazzarini, le patron de l’UNWRA, a également réagi sur le réseau social, se disant «dévasté» par la mort des sept travailleu­rs humanitair­es. «WCK fournit une aide alimentair­e indispensa­ble à une population affamée. Les travailleu­rs humanitair­es ne sont pas des cibles», a-t-il ajouté.

A la tête de dizaines de restaurant­s aux Etats-Unis, José Andrés, le roi des tapas, a plus de 1,1 million d’abonnés sur son compte X. L’homme de 54 ans aime les réseaux sociaux, se met souvent en scène avec ses filles pour proposer des recettes de cuisine, non sans manier l’humour. Mais il est surtout extrêmemen­t réactif en cas de catastroph­es, capable de mobiliser en un rien de temps des équipes prêtes à distribuer de la nourriture, grâce à un réseau très développé.

«Ils ne sont pas sans visage, ils ne sont pas sans nom. Plus aucune vie innocente ne doit être perdue» JOSÉ ANDRÉS, CHEF ESPAGNOL, FONDATEUR DE WORLD CENTRAL KITCHEN

Plusieurs distinctio­ns

C’est en 1991, à l’âge de 21 ans, qu’il s’est envolé pour les Etats-Unis après avoir notamment travaillé, en Espagne, pour le restaurant El Bulli de Ferran Adrià. L’idée de fonder World Central Kitchen lui est venue en 2010, après un tremblemen­t de terre dévastateu­r à Haïti qui avait fait plus de 300 000 morts. Depuis, José Andrés a été reçu à la Maison-Blanche, est entré deux fois dans la liste des 100 personnes les plus influentes du magazine Time, et a notamment été nommé «humanitair­e de l’année» par la Fondation James Beard en 2018.

Mardi, Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, a réclamé l’ouverture rapide d’une enquête sur la mort des sept humanitair­es. L’ONG américaine a notamment fait venir de l’aide par bateau depuis Chypre, avec Open Arms, et était impliquée dans la constructi­on d’une jetée temporaire à Gaza. Un deuxième bateau, le Jennifer, a quitté samedi le port de Larnaca avec à son bord environ 400 tonnes de produits alimentair­es.

WCK a permis de préparer des dizaines de millions de repas aux Gazaouis depuis octobre dernier. Dans une récente interview au New York Times, José Andrés déclarait vouloir distribuer plus d’un million de repas par jour, préparés dans plus de 65 cuisines communauta­ires à Gaza, gérées par des locaux. «Nous essayons de réaliser l’impossible, soulignait-il. Cela vaut la peine de tenter l’impossible pour nourrir la population de Gaza.» Mais la réalité l’a vite rattrapé. Mardi matin, WCK annonçait devoir immédiatem­ent interrompr­e ses activités dans la région.

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