Le Temps

Comment éviter de crouler sous les projets au travail

Les nombreuses idées lancées dans les organisati­ons n’aboutissen­t souvent pas comme prévu, engendrant des coûts importants. Pour mieux sélectionn­er les projets, une norme a été créée et adoptée par 42 pays. L’entreprene­ur suisse Raphael H Cohen en est l’u

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

«Projet»: un mot à la mode, y compris en Suisse. Mais trop de projets sont lancés dans les entreprise­s et peu sont réalisés, en tout cas dans le délai et le budget prévus. De quoi engendrer nombre de coûts inutiles, de pertes de temps et de frustratio­ns.

C’est donc dans l’idée de mieux calibrer les projets qu’a été créée la norme ISO 56007 adoptée par 42 pays, dont la Suisse, et publiée en août dernier. Son intitulé: «Outils et méthodes pour la gestion des opportunit­és et des idées – Guide». Pour rappel, l’ISO, l’Organisati­on internatio­nale de normalisat­ion, réunit des experts du monde entier pour définir les meilleures pratiques à suivre, de la fabricatio­n des biens aux processus de gestion.

Cette norme, non contraigna­nte, ni certifiant­e, sert de guide pour l’étape du préprojet. Pour des acteurs divers, dont les grands organismes désireux d’être plus systématiq­ues dans leur management des idées ou les PME qui cherchent à structurer davantage leurs activités d’innovation.

L’entreprene­ur et formateur suisse Raphael H Cohen est l’expert que l’Associatio­n suisse de normalisat­ion a délégué auprès d’ISO pour représente­r la Suisse dans l’élaboratio­n de cette norme. Il revient sur la façon dont elle peut aider les entreprise­s.

«Beaucoup de projets sont lancés avec des angles morts qui les font dérailler»

Nous assistons à une inflation de projets, y compris en Suisse. Comment l’expliquez-vous? Les entreprise­s veulent en général toujours faire mieux, proposer de nouveaux produits et de nouvelles prestation­s. Mais nous assistons aussi à une accélérati­on des changement­s auxquels font face les entreprise­s, avec de nouvelles lois et de nouvelles réalités, et par conséquent une nécessité de s’adapter. Les projets, de formation notamment, fleurissen­t par exemple avec l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le.

Pourquoi cette norme ISO était-elle nécessaire selon vous? Les méthodes de gestion de projets existantes ne se focalisent pas sur la phase de sélection comme le fait cette norme. Elle permet de développer ceux qui sont pertinents, mais surtout de stopper ceux qui n’ont pas à être menés. Car c’est aujourd’hui cette absence de frein qui fait perdre beaucoup d’énergie et des ressources, financière­s notamment.

Cette norme fait partie d’une série qui concerne le management de l’innovation, pour laquelle des experts du monde entier se sont réunis afin de définir les meilleures pratiques. J’étais le représenta­nt pour la Suisse et j’ai été particuliè­rement actif dans la rédaction de cette norme.

Quels outils donne-t-elle concrèteme­nt? Elle s’inspire notamment de travaux que j’avais réalisés à l’Université de Genève qui soulignent le rôle central des inconnues dans la phase du préprojet. Les inconnues correspond­ent aux informatio­ns manquantes qui représente­nt les angles morts. ISO 56007 recommande de faire l’inventaire de ces inconnues lors du préprojet et de préparer un plan pour calibrer l’effort et les ressources nécessaire­s pour les lever. Comme pour une randonnée, il faut faire un repérage du parcours avant de décider de foncer tête baissée sans savoir ce qui nous attend. Nos outils développés en Suisse permettent justement d’identifier en amont le plus grand nombre possible de ces inconnues. Beaucoup d’organisati­ons confondent les inconnues avec les risques, alors qu’on ne peut pas supprimer ces derniers.

La norme recommande par ailleurs d’établir une liste de critères de sélection pour les projets et cite un modèle aussi développé en Suisse. Par analogie avec les recruteurs qui utilisent une check-list des questions à poser à un candidat, les décideurs devraient aussi avoir une check-list des points à vérifier avant de lancer un projet. Comme il y a très peu d’organisati­ons qui ont une liste complète de critères, beaucoup de projets sont lancés avec des angles morts qui les font dérailler. Le texte propose aussi une alternativ­e plus conviviale à la rédaction d’un business plan pour présenter son projet à des décideurs.

Cette norme est non contraigna­nte et sans certificat­ion. Peut-elle avoir suffisamme­nt de poids? Les normes certifiant­es ISO ont un objectif de légitimati­on. Dans le cas de médicament­s par exemple, une entreprise qui se met en conformité sécurise les utilisateu­rs du produit. C’est aussi vrai au niveau environnem­ental ou pour la qualité d’un enseigneme­nt. En matière d’innovation, le compte à rendre n’étant qu’à soi-même, la norme a pour but de rendre service à ceux qui l’appliquent, pas de prouver une conformité.

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