Face au raid israélien, le Hezbollah temporise
A Beyrouth, l’allié de l’Iran mesure ses ripostes, dans un contexte de tensions croissantes et après les frappes imputées à Israël, qui ont fait 16 morts lundi au consulat iranien à Damas
Alors que le Hezbollah, allié à l’Iran, mesure ses ripostes, la frappe de lundi imputée à Israël sur le consulat iranien à Damas, cinquième raid en l’espace d’une semaine sur la Syrie, n’a pas vraiment troublé les Libanais. «Pour nous, cette attaque n’est pas si importante. Cela fait des mois qu’on nous dit qu’à chaque frappe, qu’à chaque mort, il y aura une réplique et que ce sera l’escalade», expliquait au Temps Hussein, issu d’une famille proche du Hezbollah. Ziad, commandant dans l’armée libanaise habituellement très au fait des nouvelles, offrait quant à lui une réponse plutôt laconique: «Je ne me suis pas intéressé à cette actualité.» Jean, un retraité de la classe moyenne libanaise, explique: «La guerre ne nous fait plus peur. Nous savons que le Liban est un pion dans les négociations entre l’Iran et les Etats-Unis et attendons de voir ce que donnent les discussions.» Selon Hossein Amirabdollahian, le ministre iranien des Affaires étrangères, les autorités américaines auraient en effet demandé à l’Iran de réfréner les ardeurs du Hezbollah dans sa guerre contre Israël.
C’est que les six missiles lancés par des jets F-35 israéliens sur l’annexe consulaire de l’ambassade iranienne à Damas depuis le plateau du Golan ont été particulièrement dommageables à Téhéran. Mercredi, Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme basé au Royaume-Uni, annonçait que le bilan s’élevait à 16 tués: «Huit Iraniens, cinq Syriens et un Libanais, tous des combattants, mais également deux civils, une femme et son fils.» Sept membres du corps des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique, ont été tués. Parmi ces victimes, deux généraux de la Force Qods, qui intervient hors des frontières, Mohammad Reza Zahedi et Mohammad Hadi Haji Rahimi. Selon l’OSDH, le général Zahedi, qui a été tué avec son assistant, était le «commandant de la force Qods pour la Syrie, le Liban et la Palestine». Ce serait l’officiel iranien le plus important jamais tué sur le sol syrien.
Une stratégie bien rodée
Cibler un consulat n’est pas anodin: le droit international considère ces lieux de représentation comme un territoire national. Mais le fait que ni l’ambassadeur ni le bâtiment de l’ambassade iranienne n’aient été touchés tend à «adoucir les conséquences potentielles», relativise Fabien Tabarly, directeur de Nigma Conseil, société française de conseil en sûreté et sécurité présente au Liban. Dans le cadre de l’affrontement entre l’Iran et Israël, certains individus peuvent être considérés comme des cibles légitimes comme le fut Qassem Soleimani, relève cet ex-officier français. «On appelle cela des High Value Individuals (HVI), dans le sens où leur disparition est estimée apporter plus d’avantages que d’inconvénients. Les bénéfices stratégiques (et tactiques) auront été jugés suffisants pour prendre le risque d’une telle frappe», explique Fabien Tabarly, président de l’Association des anciens combattants français au Liban. Il précise: «A titre personnel, je ne considère pas la frappe de lundi comme le signe d’une escalade, mais de la poursuite d’une stratégie bien rodée qui n’interdit pas de cibler en dehors des frontières.»
Cette attaque s’inscrit dans une suite logique, pour Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques. «Benyamin Netanyahou sait qu’il a besoin, pour sa survie politique, d’étendre le conflit. Car le jour où Israël ne sera plus en guerre, une commission d’enquête sera lancée par la Knesset. Elle sera probablement impitoyable pour le premier ministre et ses plus proches alliés. Mais il ne peut pas s’isoler davantage encore sur la scène internationale en lançant lui-même les hostilités. Il crée donc les conditions pour faire réagir l’Iran et ses alliés.» Cet historien militaire rappelle que «ni l’Iran ni le Hezbollah ne veulent d’un conflit ouvert direct avec Israël, qui possède donc une marge de manoeuvre importante pour les affaiblir».
Ces dernières semaines, les tensions sont en effet très vives, les attaques visant des haut gradés du parti-milice gagnant en intensité et en portée bien au-delà du Sud-Liban. Environ 90 000 Israéliens et Libanais vivant de chaque côté de la frontière ont fui les combats. Les habitants du nord d’Israël attendent que le Hezbollah se retire au minimum de 10 ou 15 kilomètres de la frontière pour rentrer chez eux. Car les civils sont aussi touchés. Mercredi dernier, 16 personnes, dont sept jeunes secouristes, ont péri des suites de frappes israéliennes. Samedi, trois observateurs des Nations unies ont été blessés en effectuant une patrouille. Dimanche, une base de l’armée libanaise a été touchée, sans faire de victimes. «Nous allons intensifier les opérations et élargir le champ de bataille», avertissait samedi encore le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant.
Un «coup de trop» qui pousserait à attaquer?
Mais, pour l’instant, le Hezbollah mesure toute riposte. Le Liban étant à terre économiquement, une guerre à large échelle serait insoutenable pour la population et mettrait en péril le soutien de sa large base électorale, explique par téléphone Yeghia Tashjian, coordinateur des affaires régionales et internationales auprès du Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs. «Nous avons pu observer qu’à chaque fois que l’armée israélienne a ciblé des haut gradés dans des régions jusqu’ici épargnées par la guerre, le Hezbollah a répondu selon les règles d’engagement, en ciblant par exemple des bases militaires situées au nord d’Israël», relève-t-il. Reste à savoir jusqu’à quand cette situation relativement stable perdurera, alors qu’«une erreur de calcul des Israéliens reste possible. Le coup de trop qui pousserait le Hezbollah à attaquer», relève Pierre Razoux.
Une chose est sûre: à Beyrouth, les souvenirs de la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël sont dans toutes les têtes. Environ 300 combattants avaient été tués lors de ce conflit de 33 jours. Depuis l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre en Israël, au moins 68 civils libanais ont perdu la vie dans les échanges de feu de chaque côté de la frontière. Côté israélien, dix soldats et huit civils y sont morts, selon l’armée israélienne. ■
«Ni l’Iran ni le Hezbollah ne veulent d’un conflit ouvert direct avec Israël» PIERRE RAZOUX, HISTORIEN SPÉCIALISÉ DANS LES CONFLITS CONTEMPORAINS