L’université: tour d’ivoire, ou au service de la société?
Les professeurs d'université doivent-ils vivre dans une tour d'ivoire? Ou doiventils compléter leur recherche et leur enseignement par une «troisième mission», en collaborant activement avec le monde réel? D'après le modèle de la tour d'ivoire, reflété dans une récente tribune du Temps, les professeurs d'université devraient éviter de collaborer avec des praticiens afin de ne pas être corrompus par des intérêts particuliers. Selon ce point de vue, en s'engageant dans le monde réel, les professeurs compromettent leur liberté académique et, par conséquent, la qualité de leur recherche et de leur enseignement. En revanche, les partisans de la troisième mission affirment que la collaboration des universités avec le secteur privé est mutuellement bénéfique. L'expertise académique des professeurs permet de trouver des solutions à des défis concrets. En retour, la recherche et l'enseignement universitaires bénéficient d'un contact étroit avec la réalité.
En Suisse, deux établissements d'enseignement supérieur de premier plan – les écoles polytechniques fédérales – ont, dès leur fondation, explicitement rejeté le modèle de la tour d'ivoire. Leur succès a été retentissant. Les écoles polytechniques fédérales ont accumulé un impact impressionnant en générant des brevets, des innovations applicables et des spin-off. L'engagement des écoles polytechniques fédérales dans une troisième mission a-t-il compromis la recherche fondamentale et l'enseignement de leurs professeurs? Ce n'est pas ce que suggèrent les résultats obtenus. Les écoles polytechniques fédérales jouissent d'une réputation internationale éclatante en mathématiques, en sciences et en ingénierie.
Dans le domaine de l'économie financière aussi, l'engagement entre le monde universitaire et la pratique sur des sujets d'avant-garde bénéficie aux deux parties. Par exemple, l'impact de la numérisation sur le système financier ne peut être compris que par une combinaison d'efforts et de perspectives. La numérisation réduit-elle ou augmente-t-elle les frictions dans le système financier? Pouvons-nous créer un système décentralisé d'intermédiation financière, et est-ce souhaitable? Le financement de la lutte contre le changement climatique est un autre sujet fondamental qui a de profondes implications pour l'intermédiation financière. Les professeurs et les doctorants du Swiss Finance Institute se sont imposés comme des leaders dans ce domaine. Contrairement à certains commentaires politiques, les conclusions de la recherche académique en finance ne favorisent pas nécessairement le statu quo ou les acteurs en place. Par exemple, pendant la période des taux négatifs, des professeurs du Swiss Finance Institute ont, sur la base d'une argumentation étayée par la recherche, soutenu la politique de la Banque nationale suisse, malgré les prises de position en sens inverse venant du secteur bancaire.
Par rapport aux sciences naturelles ou à l'ingénierie, les sciences sociales sont confrontées à un défi particulier lorsqu'il s'agit de la troisième mission. Pour le grand public, il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre deux situations: des professeurs qui s'engagent véritablement dans le monde réel en mettant leur expertise académique bien établie à la disposition de la société; et des professeurs qui utilisent le confort de leur poste universitaire parfaitement protégé pour émettre des commentaires politiques sur l'actualité. Dans le premier cas, les professeurs remplissent la troisième mission. Dans le second cas, les professeurs utilisent l'argent des contribuables au bénéfice de leur programme politique.
Aujourd'hui, toutes les universités suisses ont intégré la troisième mission dans leur mandat. Comment les universités peuvent-elles obtenir le meilleur des deux mondes, c'est-à-dire la liberté académique et l'engagement dans la pratique? La réponse est double. Premièrement, une bonne gouvernance de la troisième mission est essentielle. La liberté académique doit être préservée, ce qui signifie que les professeurs et les doctorants doivent être libres de mener leurs recherches et leur enseignement sans ingérence et sans conflit d'intérêts. Deuxièmement, une culture de l'excellence doit être maintenue. Les universitaires doivent être évalués sur la base du système d'évaluation par les pairs, qui garantit que les nominations sont faites selon des normes académiques internationales bien acceptées. C'est l'application de ces principes qui a permis au Swiss Finance Institute de se hisser parmi les dix premiers instituts de recherche en banque et finance dans le monde.
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Les conclusions de la recherche académique en finance ne favorisent pas nécessairement le statu quo ou les acteurs en place