Le recul de Bruxelles, fausse victoire pour le mouvement paysan
Il ne restera bientôt plus rien du volet agricole du Green Deal. En février, Ursula von der Leyen avait demandé le retrait de la proposition de règlement pour un usage durable des pesticides (SUR). Ce texte ambitionnait de réduire de moitié l'usage et les risques liés aux pesticides d'ici à 2030. Il avait été fort mal accueilli par le Parlement européen, qui l'avait largement vidé de sa substance.
La Commission européenne propose maintenant plus de flexibilité dans les règles de la politique agricole commune (PAC), avec une mise en vigueur cette année déjà. En fait, c'est un détricotage en bonne et due forme des dispositions adoptées en 2021 auquel on assiste. Il sera sans doute entériné lors de la session du parlement du 10 au 11 avril.
La Commission veut donc corriger quatre des neuf normes dites de «bonnes conditions agricoles et environnementales» qui conditionnent les aises perçues par les agriculteurs. Exit donc, l'obligation d'une part minimale (4%) des terres arables mises en jachère au profit de l'obligation de mise en place d'un système d'incitation; la protection des prairies permanentes sera fortement affaiblie; des possibilités d'exemption seront prévues pour la rotation des cultures sur les terres arables au profit d'une option de diversification des espèces cultivées simultanément; enfin les «périodes sensibles», pendant lesquelles l'obligation de couverture des sols est obligatoire, auront une définition moins contraignante.
Cette volte-face fait évidemment suite aux colères paysannes qui se sont exprimées dans plusieurs pays européens. Pour ce mouvement, c'est donc une victoire. Je crains que pour les propriétaires de petites exploitations, il s'agisse d'une victoire à la Pyrrhus. Les gagnants de cette révision seront les grandes exploitations qui pratiquent une agriculture productiviste. La PAC ainsi revisitée ne garantit plus une incitation réelle à la transition écologique. Il manquait la carotte (des aides plus substantielles pour les petits producteurs) et il n'y a plus de bâton non plus. Les aides pourront, comme par le passé, être versées à des exploitations qui appauvrissent les eaux, polluent les eaux et détruisent la biodiversité.
La tendance de ces cinquante dernières années qui a vu la disparition des petites exploitations (moins de 100 hectares) va donc se poursuivre, la monoculture va l'emporter sur la polyculture, on continuera d'arroser les champs de produits chimiques et le processus d'appauvrissement des sols se poursuivra.
Finalement les industries chimiques et agroalimentaires seront les seules vraies gagnantes à long terme. L'agriculture productiviste mène en effet à la surproduction et la baisse des prix. Les grandes exploitations souffriront donc à leur tour. Ce sera d'autant plus inévitable que la démographie européenne est en berne du fait de la baisse de la fécondité, de la faible croissance économique et du rejet de l'immigration extra-européenne par une bonne partie de la population du Vieux-Continent, qui n'a jamais si bien porté son nom. Les effets du réchauffement climatique viendront certainement aggraver la situation dans certaines régions au moins.
L'Europe venait de se doter d'une nouvelle PAC qui marquait un virage vers l'agroécologie. Elle était sans doute trop timide, trop pingre aussi pour donner des résultats satisfaisants. La Commission revient à un soutien sans faille à l'agriculture conventionnelle. Pour combien de temps? Nous n'en savons rien, mais une chose est sûre: seule la reprise des exploitations par une nouvelle génération d'agriculteurs pourra relancer le passage à des pratiques respectueuses de l'environnement et garantissant aux paysans une juste rétribution de leur travail.
■