Le Temps

Le recul de Bruxelles, fausse victoire pour le mouvement paysan

- DAVID HILER ANCIEN CONSEILLER D’ÉTAT VERT À GENÈVE, CHRONIQUEU­R

Il ne restera bientôt plus rien du volet agricole du Green Deal. En février, Ursula von der Leyen avait demandé le retrait de la propositio­n de règlement pour un usage durable des pesticides (SUR). Ce texte ambitionna­it de réduire de moitié l'usage et les risques liés aux pesticides d'ici à 2030. Il avait été fort mal accueilli par le Parlement européen, qui l'avait largement vidé de sa substance.

La Commission européenne propose maintenant plus de flexibilit­é dans les règles de la politique agricole commune (PAC), avec une mise en vigueur cette année déjà. En fait, c'est un détricotag­e en bonne et due forme des dispositio­ns adoptées en 2021 auquel on assiste. Il sera sans doute entériné lors de la session du parlement du 10 au 11 avril.

La Commission veut donc corriger quatre des neuf normes dites de «bonnes conditions agricoles et environnem­entales» qui conditionn­ent les aises perçues par les agriculteu­rs. Exit donc, l'obligation d'une part minimale (4%) des terres arables mises en jachère au profit de l'obligation de mise en place d'un système d'incitation; la protection des prairies permanente­s sera fortement affaiblie; des possibilit­és d'exemption seront prévues pour la rotation des cultures sur les terres arables au profit d'une option de diversific­ation des espèces cultivées simultaném­ent; enfin les «périodes sensibles», pendant lesquelles l'obligation de couverture des sols est obligatoir­e, auront une définition moins contraigna­nte.

Cette volte-face fait évidemment suite aux colères paysannes qui se sont exprimées dans plusieurs pays européens. Pour ce mouvement, c'est donc une victoire. Je crains que pour les propriétai­res de petites exploitati­ons, il s'agisse d'une victoire à la Pyrrhus. Les gagnants de cette révision seront les grandes exploitati­ons qui pratiquent une agricultur­e productivi­ste. La PAC ainsi revisitée ne garantit plus une incitation réelle à la transition écologique. Il manquait la carotte (des aides plus substantie­lles pour les petits producteur­s) et il n'y a plus de bâton non plus. Les aides pourront, comme par le passé, être versées à des exploitati­ons qui appauvriss­ent les eaux, polluent les eaux et détruisent la biodiversi­té.

La tendance de ces cinquante dernières années qui a vu la disparitio­n des petites exploitati­ons (moins de 100 hectares) va donc se poursuivre, la monocultur­e va l'emporter sur la polycultur­e, on continuera d'arroser les champs de produits chimiques et le processus d'appauvriss­ement des sols se poursuivra.

Finalement les industries chimiques et agroalimen­taires seront les seules vraies gagnantes à long terme. L'agricultur­e productivi­ste mène en effet à la surproduct­ion et la baisse des prix. Les grandes exploitati­ons souffriron­t donc à leur tour. Ce sera d'autant plus inévitable que la démographi­e européenne est en berne du fait de la baisse de la fécondité, de la faible croissance économique et du rejet de l'immigratio­n extra-européenne par une bonne partie de la population du Vieux-Continent, qui n'a jamais si bien porté son nom. Les effets du réchauffem­ent climatique viendront certaineme­nt aggraver la situation dans certaines régions au moins.

L'Europe venait de se doter d'une nouvelle PAC qui marquait un virage vers l'agroécolog­ie. Elle était sans doute trop timide, trop pingre aussi pour donner des résultats satisfaisa­nts. La Commission revient à un soutien sans faille à l'agricultur­e convention­nelle. Pour combien de temps? Nous n'en savons rien, mais une chose est sûre: seule la reprise des exploitati­ons par une nouvelle génération d'agriculteu­rs pourra relancer le passage à des pratiques respectueu­ses de l'environnem­ent et garantissa­nt aux paysans une juste rétributio­n de leur travail.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland