Le Temps

«La vulnérabil­ité des gens âgés nous oblige à nous décaler»

La chorégraph­e Judith Desse est sensible à la vieillesse. «Colette», à découvrir au Théâtre 2.21, retrace une journée agitée dans un home, à travers cinq corps en mouvement et la voix de résidents

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-PIERRE GENECAND

«Je pars de la réalité observée en EMS, mais je veille à l’intériorit­é et à la qualité des gestes» JUDITH DESSE, CHORÉGRAPH­E

Les danseurs sont recouverts d’argile pour évoquer la peau qui craque ou l’esprit qui se brouille, quand l’argile soulevée de terre provoque un nuage de poussière. De l’avis de Michel Sauser, âme fervente du Théâtre 2.21, à Lausanne, «Colette promet d’être très, très beau!» On se remet volontiers à cet avis autorisé, car, on n’a encore rien vu de Judith Desse, chorégraph­e d’origine parisienne, qui est aussi infirmière. Au Théâtre de l’Usine, à Genève, il y a deux ans, l’artiste a livré Je m’appelle Barbara, mon prénom est Suzanne, le destin d’une jeune femme qui voulait parler une dernière fois avec sa mère souffrant d’alzheimer, avant que cette dernière ne perde l’usage des mots.

Cette fois, les danseurs resteront silencieux, mais on entendra la voix des résidents d’un EMS genevois dans lequel Judith Desse donne des ateliers de mouvement. Colette, c’est «l’histoire parfois dure de vies diminuées, mais dignes d’intérêt», résume son autrice.

Judith Desse, qui êtes-vous?J’ai d’abord été infirmière à Paris, mais j’ai toujours dansé. Quand j’ai décidé de devenir danseuse profession­nelle, en 2017, j’ai rejoint la compagnie Le Marchepied, à Lausanne, puis j’ai participé deux fois aux Quarts d’heure de Sévelin, qui permettent à des chorégraph­es émergents de faire leurs premiers pas. Ensuite, j’ai dansé dans les compagnies de Foofwa d’Imobilité, d’Alias et dans celle d’Utilité publique, de Corinne Rochet et Nicholas Pettit. Aujourd’hui, je gagne ma vie en chorégraph­iant des spectacles de théâtre, comme ceux de Christian Denisart ou de Julie Burnier et Fred Ozier. Je travaille sur l’intention du geste avec les acteurs. En parallèle, j’ai toujours continué à donner des ateliers de mouvement dans des homes pour personnes âgées. Ce sont d’ailleurs des résidents du Nouveau Prieuré, à Genève qu’on entend dans Colette.

Vous avez aussi immergé vos quatre danseurs dans cette réalité…Oui, pour préparer ce spectacle, j’ai invité mon équipe à passer une journée dans cet EMS et à bouger avec les résidents. Comme ces personnes perdent le sens commun, il est important qu’on se mette à leur niveau, qu’on les regarde bien dans les yeux et qu’on les touche doucement, sur les bras et les jambes, pour qu’elles reprennent contact avec leur corps, souvent dématérial­isé. Je suis très intéressée par la vulnérabil­ité liée à la vieillesse pour deux raisons: déjà, elle nous concerne tous. Tout le monde a, dans son entourage, des personnes âgées fragilisée­s et souvent placées. Et aussi parce que la vulnérabil­ité nous oblige à nous décaler. On n’aborde pas des personnes âgées comme on salue son voisin de palier.

Que verrons-nous dans «Colette»? Le scénario raconte une journée agitée dans un EMS. On restitue en mouvement aussi bien les soins qui, parfois, doivent être accomplis précipitam­ment, pour des raisons de sous-effectif, que des moments de complicité avec les résidents. Il y a par exemple cet anniversai­re qui commence bien mais finit dans le chaos, car la patiente réalise qu’aucun membre de sa famille n’est venu y assister.

Dans un décor où des chaises sont disposées sous une fenêtre fermée qui flotte, les costumes sont particulie­rs. Pourquoi ce choix? D’un côté, j’ai choisi de recouvrir nos visages et nos corps d’argile humide pour que le séchage progressif provoque des craquelure­s qui rappellent la peau ridée des personnes âgées. De l’autre, nous portons des costumes très chics, jupes et chemises noires avec des fraises en collerette, pour montrer la dignité des résidents.

Quel est votre modèle artistique? Sans hésitation, Pina Bausch, qui partait de ses danseurs pour créer les mouvements. Dans mon spectacle, je pars de la réalité observée en EMS, mais je veille à l’intériorit­é et à la qualité des gestes. Chez Pina Bausch, j’aime aussi le fait qu’elle accepte tous les corps, tous les âges. Les danseurs de Colette ont de 31 à 54 ans, et chaque corps a son histoire.

■ «Colette», Lausanne, Théâtre 2.21, du 9 au 28 avril

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