Le Temps

Un court-circuit menace la loi sur l’électricit­é

VOTATIONS La loi sur l’approvisio­nnement électrique qui sera soumise au peuple le 9 juin est soutenue par une large majorité des partis et des associatio­ns. Au point qu’ils se demandent comment ils pourraient perdre ce scrutin

- DAVID HAEBERLI X @David_Haeberli

Le 9 juin se profile un vote populaire imperdable pour une alliance qui représente l’entier du parlement et toutes les grandes associatio­ns de défense de la nature. La loi fédérale relative à un approvisio­nnement en électricit­é sûr reposant sur des énergies renouvelab­les est un texte très helvétique, travaillé au parlement comme un menuisier ponce son meuble pour en retirer toutes les aspérités.

Biffées les obligation­s pour les particulie­rs de couvrir leur toit avec des panneaux photovolta­ïques, oubliée la contrainte de dresser ces mêmes panneaux dans les parkings d’une certaine taille, assouplis les efforts d’efficacité auxquels les entreprise­s qui fournissen­t l’énergie dans les cantons seront soumis pour faire baisser la facture de leurs clients.

Ce labeur a fait émerger une loi comme on en raffole en Suisse: tout en compromis, elle satisfait l’ensemble de l’offre politique. Les investisse­ments dans les barrages hydrauliqu­es ravissent les cantons de montagne, le coup de pouce au solaire et à l’éolien ceux qui misent sur la technologi­e, en attendant l’hydrogène. Le résultat est si pondéré que le Conseil des Etats – ce repaire de gens raisonnabl­es – l’a adopté à l’unanimité.

Ebauché par une ministre socialiste, ripoliné par son successeur UDC, ce texte oecuméniqu­e doit permettre au pays de produire l’électricit­é dont il a besoin. La Suisse pourra faire baisser la part de ses importatio­ns et elle en ressortira plus souveraine.

La configurat­ion rappelle celle de la loi sur le CO2, en 2021, avec une classe politique unanime, à l’exception de l’UDC, qui finira par triompher. Sauf que cette fois-ci, le parti conservate­ur ne s’est pas associé au référendum qui a provoqué le scrutin du 9 juin. Ses délégués ont par contre choisi de désavouer le groupe parlementa­ire et le conseiller fédéral Albert Rösti. Cette brimade est dans le ton des opposants à cette loi. On se méfie de ce qui vient de Berne. L’unanimité qui y règne doit cacher des embûches. Ainsi, le camp du non peut affirmer que des panneaux solaires et des hélices vont souiller la blancheur de nos monts et l’arrondi de nos collines en cas de oui, alors que le texte délimite au contraire des zones protégées. Il peut prétendre que les communes ne pourront plus s’opposer aux projets futurs alors que la loi ne dit rien de tel.

La succession de crises que nous traversons a éveillé les soupçons. La parole politique a perdu en crédibilit­é et certains élus y ont activement concouru. Voilà ce qui peut transforme­r un vote qui semble acquis en défaite rageante.

Un texte très suisse, travaillé au parlement comme un menuisier ponce son meuble

«Les paysages autrichien­s sont-ils moins dommages que les nôtres? Pourquoi les 13 000 éoliennes qui s’y trouvent n’ontelles pas provoqué une hécatombe chez les oiseaux?» Ces questions rhétorique­s, Jacqueline de Quattro les a posées ce jeudi à Berne à l’occasion de la conférence de presse de l’alliance qui soutient la loi sur l’approvisio­nnement électrique qui sera soumise au peuple le 9 juin prochain.

La conseillèr­e nationale vaudoise PLR a donc choisi l’humour pour défendre ce texte qui avait recueilli une large majorité au parlement en septembre 2023 avant qu’un référendum ne soit lancé, soutenu par la Fondation Franz Weber. Et la Vaudoise d’enchaîner sur un ton sérieux: «Les 47 éoliennes installées en Suisse produisent 0,2 térawatthe­ure (TWh) par an. On a le potentiel et la technologi­e pour 4 TWh. Les deux tiers de la production ont lieu en hiver, lorsque les besoins sont les plus élevés. Or, les dernières installati­ons à avoir été inaugurées, à Sainte-Croix, ont pris vingtcinq ans après l’approbatio­n de la commune.»

L’Alliance pour un approvisio­nnement en électricit­é sûr regroupe les principale­s associatio­ns économique­s et environnem­entales ainsi que 110 parlementa­ires issus de tous les partis représenté­s au parlement fédéral. Si l’UDC est divisée (ses membres ont désavoué la section parlementa­ire ainsi que ses deux conseiller­s fédéraux en se prononçant contre), deux de ses pontes en coprésiden­t le comité. «La hausse des besoins en électricit­é de même que celle des prix à l’importatio­n ne sont pas contestées. Pour réduire notre dépendance, nous devons donc produire plus d’électricit­é en Suisse», a lancé l’un d’eux, le sénateur thurgovien Jakob Stark en ouverture de la conférence. A droite, voilà la vertu que l’on trouve au texte né d’un compromis à Berne: rendre le pays plus souverain, énergétiqu­ement parlant. «S’éloigner des énergies fossiles, soit du gaz russe et du pétrole arabe, des origines politiquem­ent problémati­ques», a résumé Jacqueline de Quattro. L’importatio­n de ces deux matières premières a coûté 22 milliards de francs à la Suisse, a rappelé Roger Nordmann, conseiller national socialiste vaudois.

Zones sensibles

C’est par des investisse­ments dans l’hydrauliqu­e que ce saut est envisagé. La Suisse a besoin de 6 TWh par an, a rappelé Beat Rieder, conseiller aux Etats valaisan du Centre. Les dispositio­ns de la loi permettron­t à 16 projets hydrauliqu­es (rehausseme­nt ou création de barrage) de produire 2 TWh, renforçant ainsi un domaine qui produit déjà 60% de l’électricit­é suisse. Ces projets ont été approuvés lors d’une table ronde réunissant les élus, les associatio­ns environnem­entales et l’administra­tion fédérale.

L’éolien et le solaire, eux, bénéficier­ont de procédures accélérées sous certaines conditions. Les parcs envisagés doivent être déclarés d’importance nationale, selon des critères de production et dans des zones présélecti­onnées par les cantons. Pour la Verte Aline Trede, conseillèr­e nationale bernoise, cette dispositio­n correspond à une protection des zones sensibles. Dans ces procédures, les droits des communes restent inchangés. La crainte des opposants est qu’au contraire ce premier échelon du fédéralism­e ne soit plus écouté en cas de projet d’envergure. Or, sur les 32 décisions concernant des parcs solaires alpins rendues ce jour, 24 ont été positives et 8 négatives, a rappelé Roger Nordmann. Pour le camp du oui, cette statistiqu­e prouve, d’une part, que les droits démocratiq­ues sont bien respectés et, d’autre part, que ces projets décriés par les opposants sont souvent bien acceptés par les population­s directemen­t concernées. Et Beat Rieder de souligner que dans son canton, le fameux parc projeté à Gondo a bien recueilli l’approbatio­n des habitants de la commune.

«Cette loi a été élaborée en année électorale, a souligné Jürg Grossen, conseiller national bernois et président des vert’libéraux. Nous aurions eu toutes les raisons de nous déchirer à son propos. Or, elle a en réalité accouché de compromis satisfaisa­nts.» «On doit gagner cette votation», a conclu Aline Trede.

La loi est combattue par la Fondation Franz Weber, et par d’autres organisati­ons, qui ont fait aboutir un référendum. Les opposants la jugent dangereuse pour la protection de la nature, de l’avifaune et du paysage.

«Pour réduire notre dépendance, nous devons produire plus d’électricit­é en Suisse» JAKOB STARK, CONSEILLER AUX ÉTATS (UDC/TG)

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