Un court-circuit menace la loi sur l’électricité
VOTATIONS La loi sur l’approvisionnement électrique qui sera soumise au peuple le 9 juin est soutenue par une large majorité des partis et des associations. Au point qu’ils se demandent comment ils pourraient perdre ce scrutin
Le 9 juin se profile un vote populaire imperdable pour une alliance qui représente l’entier du parlement et toutes les grandes associations de défense de la nature. La loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables est un texte très helvétique, travaillé au parlement comme un menuisier ponce son meuble pour en retirer toutes les aspérités.
Biffées les obligations pour les particuliers de couvrir leur toit avec des panneaux photovoltaïques, oubliée la contrainte de dresser ces mêmes panneaux dans les parkings d’une certaine taille, assouplis les efforts d’efficacité auxquels les entreprises qui fournissent l’énergie dans les cantons seront soumis pour faire baisser la facture de leurs clients.
Ce labeur a fait émerger une loi comme on en raffole en Suisse: tout en compromis, elle satisfait l’ensemble de l’offre politique. Les investissements dans les barrages hydrauliques ravissent les cantons de montagne, le coup de pouce au solaire et à l’éolien ceux qui misent sur la technologie, en attendant l’hydrogène. Le résultat est si pondéré que le Conseil des Etats – ce repaire de gens raisonnables – l’a adopté à l’unanimité.
Ebauché par une ministre socialiste, ripoliné par son successeur UDC, ce texte oecuménique doit permettre au pays de produire l’électricité dont il a besoin. La Suisse pourra faire baisser la part de ses importations et elle en ressortira plus souveraine.
La configuration rappelle celle de la loi sur le CO2, en 2021, avec une classe politique unanime, à l’exception de l’UDC, qui finira par triompher. Sauf que cette fois-ci, le parti conservateur ne s’est pas associé au référendum qui a provoqué le scrutin du 9 juin. Ses délégués ont par contre choisi de désavouer le groupe parlementaire et le conseiller fédéral Albert Rösti. Cette brimade est dans le ton des opposants à cette loi. On se méfie de ce qui vient de Berne. L’unanimité qui y règne doit cacher des embûches. Ainsi, le camp du non peut affirmer que des panneaux solaires et des hélices vont souiller la blancheur de nos monts et l’arrondi de nos collines en cas de oui, alors que le texte délimite au contraire des zones protégées. Il peut prétendre que les communes ne pourront plus s’opposer aux projets futurs alors que la loi ne dit rien de tel.
La succession de crises que nous traversons a éveillé les soupçons. La parole politique a perdu en crédibilité et certains élus y ont activement concouru. Voilà ce qui peut transformer un vote qui semble acquis en défaite rageante.
Un texte très suisse, travaillé au parlement comme un menuisier ponce son meuble
«Les paysages autrichiens sont-ils moins dommages que les nôtres? Pourquoi les 13 000 éoliennes qui s’y trouvent n’ontelles pas provoqué une hécatombe chez les oiseaux?» Ces questions rhétoriques, Jacqueline de Quattro les a posées ce jeudi à Berne à l’occasion de la conférence de presse de l’alliance qui soutient la loi sur l’approvisionnement électrique qui sera soumise au peuple le 9 juin prochain.
La conseillère nationale vaudoise PLR a donc choisi l’humour pour défendre ce texte qui avait recueilli une large majorité au parlement en septembre 2023 avant qu’un référendum ne soit lancé, soutenu par la Fondation Franz Weber. Et la Vaudoise d’enchaîner sur un ton sérieux: «Les 47 éoliennes installées en Suisse produisent 0,2 térawattheure (TWh) par an. On a le potentiel et la technologie pour 4 TWh. Les deux tiers de la production ont lieu en hiver, lorsque les besoins sont les plus élevés. Or, les dernières installations à avoir été inaugurées, à Sainte-Croix, ont pris vingtcinq ans après l’approbation de la commune.»
L’Alliance pour un approvisionnement en électricité sûr regroupe les principales associations économiques et environnementales ainsi que 110 parlementaires issus de tous les partis représentés au parlement fédéral. Si l’UDC est divisée (ses membres ont désavoué la section parlementaire ainsi que ses deux conseillers fédéraux en se prononçant contre), deux de ses pontes en coprésident le comité. «La hausse des besoins en électricité de même que celle des prix à l’importation ne sont pas contestées. Pour réduire notre dépendance, nous devons donc produire plus d’électricité en Suisse», a lancé l’un d’eux, le sénateur thurgovien Jakob Stark en ouverture de la conférence. A droite, voilà la vertu que l’on trouve au texte né d’un compromis à Berne: rendre le pays plus souverain, énergétiquement parlant. «S’éloigner des énergies fossiles, soit du gaz russe et du pétrole arabe, des origines politiquement problématiques», a résumé Jacqueline de Quattro. L’importation de ces deux matières premières a coûté 22 milliards de francs à la Suisse, a rappelé Roger Nordmann, conseiller national socialiste vaudois.
Zones sensibles
C’est par des investissements dans l’hydraulique que ce saut est envisagé. La Suisse a besoin de 6 TWh par an, a rappelé Beat Rieder, conseiller aux Etats valaisan du Centre. Les dispositions de la loi permettront à 16 projets hydrauliques (rehaussement ou création de barrage) de produire 2 TWh, renforçant ainsi un domaine qui produit déjà 60% de l’électricité suisse. Ces projets ont été approuvés lors d’une table ronde réunissant les élus, les associations environnementales et l’administration fédérale.
L’éolien et le solaire, eux, bénéficieront de procédures accélérées sous certaines conditions. Les parcs envisagés doivent être déclarés d’importance nationale, selon des critères de production et dans des zones présélectionnées par les cantons. Pour la Verte Aline Trede, conseillère nationale bernoise, cette disposition correspond à une protection des zones sensibles. Dans ces procédures, les droits des communes restent inchangés. La crainte des opposants est qu’au contraire ce premier échelon du fédéralisme ne soit plus écouté en cas de projet d’envergure. Or, sur les 32 décisions concernant des parcs solaires alpins rendues ce jour, 24 ont été positives et 8 négatives, a rappelé Roger Nordmann. Pour le camp du oui, cette statistique prouve, d’une part, que les droits démocratiques sont bien respectés et, d’autre part, que ces projets décriés par les opposants sont souvent bien acceptés par les populations directement concernées. Et Beat Rieder de souligner que dans son canton, le fameux parc projeté à Gondo a bien recueilli l’approbation des habitants de la commune.
«Cette loi a été élaborée en année électorale, a souligné Jürg Grossen, conseiller national bernois et président des vert’libéraux. Nous aurions eu toutes les raisons de nous déchirer à son propos. Or, elle a en réalité accouché de compromis satisfaisants.» «On doit gagner cette votation», a conclu Aline Trede.
La loi est combattue par la Fondation Franz Weber, et par d’autres organisations, qui ont fait aboutir un référendum. Les opposants la jugent dangereuse pour la protection de la nature, de l’avifaune et du paysage.
«Pour réduire notre dépendance, nous devons produire plus d’électricité en Suisse» JAKOB STARK, CONSEILLER AUX ÉTATS (UDC/TG)