Le Temps

Juan Merchan, un juge sous le feu des trumpistes

ÉTATS-UNIS Le magistrat de New York est bien décidé à maintenir le premier procès pénal contre un ancien président dans une dizaine de jours. Comme d’autres confrères, il subit les foudres de Donald Trump et de ses soutiens

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

Alors que le premier procès pénal contre lui doit s’ouvrir le 15 avril, Donald Trump multiplie les attaques contre le juge Juan Merchan, qui mènera les débats. L’ancien président est accusé d’avoir dissimulé aux autorités électorale­s un paiement de 130 000 dollars à une maîtresse, Stephanie Clifford, ancienne actrice pornograph­ique, pour éviter un scandale juste avant la présidenti­elle de 2016. Donald Trump nie cette liaison.

«Ce juge qui a l’air très distingué me hait. Il souffre du syndrome de dérangemen­t anti-Trump», a encore lancé le candidat il y a quelques jours sur son réseau Truth Social. Né en Colombie, le magistrat sexagénair­e a immigré aux Etats-Unis quand il était enfant. Il a grandi à New York et a fait des études supérieure­s à l’Université Hofstra, à Long Island, selon sa page sur le réseau profession­nel LinkedIn. Il a d’abord été procureur avant d’être nommé juge par l’ancien maire démocrate de New York Michael Bloomberg, écrit l’agence de presse AP.

Un profil mesuré

Le magistrat officie depuis quinze ans, présidant des procès dans des affaires financière­s. Il a déjà eu affaire à la Trump Organizati­on et a condamné l’un de ses responsabl­es. Il sera en charge du procès prévu en mai prochain de Steve Bannon, un ancien conseiller de Donald Trump, accusé d’avoir trompé des donateurs. Il préside aussi une cour jugeant des accusés d’infraction­s mineures avec des maladies mentales et une troisième pour des vétérans de l’armée américaine.

Ce juge décrit comme mesuré n’a pas le profil politique du procureur Alvin Bragg, qui a enquêté sur cette affaire de paiement présumé illicite et qui a été élu en promettant de mettre fin à l’impunité de Donald Trump, ni celui de Letitia James, qui a mené l’enquête sur les propriétés surévaluée­s de la Trump Organizati­on, laquelle s’est soldée par une amende record de 450 millions de dollars contre l’empire immobilier de l’ancien président.

Malgré cette image plus lisse, le clan de Donald Trump a trouvé un angle d’attaque contre le juge Juan Merchan: sa fille, une consultant­e politique. Son agence de marketing en ligne travaille pour des politicien­s démocrates, dont certains ont récolté des fonds en s’appuyant sur les inculpatio­ns de Donald Trump. Les avocats de l’ancien président pointent donc un «conflit d’intérêts» et demandent la récusation du magistrat. Ils avaient été déboutés sur ce point en juin dernier, lorsqu’ils pointaient déjà les activités de la fille du juge et une donation de 35 dollars du magistrat lui-même à une fondation démocrate et pour la candidatur­e de Joe Biden en 2020. Pas de quoi compromett­re l’impartiali­té du juge, selon un comité d’éthique des tribunaux newyorkais. Les avocats du milliardai­re annoncent aujourd’hui leur intention de revenir à la charge.

Ce n’est pas la première fois que Donald Trump s’en prend à la famille des magistrats impliqués dans les poursuites qui le visent. Il a attaqué l’épouse du juge Arthur Engoron, qui a décidé de son amende de 450 millions de dollars, ou relayé des accusation­s de «marxisme» contre la juge Tanya Chutkan qui présidera le procès pour l’attaque du Capitole. Cette dernière est sous protection policière. D’après une récente enquête de l’agence Reuters, le nombre de menaces contre les juges fédéraux aux Etats-Unis a doublé depuis 2021, en particulie­r visant les magistrats qui ont condamné les assaillant­s du Capitole. Emprisonné­s, ces derniers sont des «otages» selon les mots de Donald Trump.

Obligation de silence pour Donald Trump

Mais le juge Juan Merchan ne se laisse pas intimider. Lundi, il a étendu à sa fille les mesures de protection dont bénéficien­t les employés de la cour, des témoins ainsi que des futurs jurés contre les menaces de Donald Trump. Cette obligation de silence (Gag Order) interdit au prévenu de s’en prendre à eux. Au vu des récentes attaques de l’ex-président, «chacun peut tirer la conclusion que s’il est impliqué dans ce procès, même de loin, il doit faire attention, ainsi qu’à ses proches, écrivait le juge. Cela interfère dans l’administra­tion d’une justice équitable et c’est une attaque directe contre l’Etat de droit.» «Je viens juste d’apprendre qu’un autre juge new-yorkais corrompu, Juan Merchan, m’a bâillonné pour que je ne puisse pas évoquer la corruption et les conflits d’intérêts», a réagi Donald Trump sur son réseau Truth Social.

Malgré l’injonction judiciaire, le candidat continue de diffuser des articles mettant en cause les activités de la famille de Juan Merchan. Ces accusation­s diffusées en boucle sur les réseaux sociaux pointent notamment un compte Twitter avec une photo de Donald Trump derrière les barreaux, attribué, fallacieus­ement selon la justice new-yorkaise, à la fille du juge.

Enfin, Juan Merchan a rejeté mercredi un recours des avocats de Donald Trump qui réclamaien­t de repousser le procès en attendant que le Cour suprême se prononce sur l’immunité de l’ancien président. Il a fait valoir que la défense avait eu d’autres occasions de soulever ce point et qu’il était trop tard pour le faire à moins de deux semaines du début des débats. Le candidat républicai­n multiplie les recours pour repousser ses procès au-delà du scrutin du 5 novembre, dans l’espoir qu’il soit réélu à la Maison-Blanche et puisse ensuite annuler les poursuites contre lui.

Le nombre de menaces contre les juges fédéraux aux Etats-Unis a doublé depuis 2021

Ces manoeuvres dilatoires sont pour l’instant fructueuse­s… sauf dans l’affaire du paiement. Ce n’est pas l’affaire la plus grave qui vise Donald Trump, comparée à l’attaque du Capitole, les documents confidenti­els dissimulés à Mar-a-Lago ou les pressions pour changer le résultat du vote dans l’Etat crucial de Géorgie en 2020. C’est toutefois la première fois qu’un ancien président subira un procès pénal. Le prévenu risque la prison s’il est reconnu coupable par un jury populaire. Là aussi, ce serait un fait inédit pour un candidat en campagne, même s’il ferait sûrement recours pour éviter de se retrouver derrière les barreaux.

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