Le Temps

La Suisse et le dossier israélo-palestinie­n

- YVES SANDOZ PROFESSEUR HONORAIRE DE DROIT INTERNATIO­NAL HUMANITAIR­E

On attend de la Suisse qu’elle se comporte de manière objective et impartiale dans la défense du droit internatio­nal en général, des droits de l’homme et du droit internatio­nal humanitair­e en particulie­r. C’est particuliè­rement vrai aujourd’hui face au drame qui se déroule en Israël, à Gaza et dans les Territoire­s occupés. Au-delà du débat émotionnel dans le pays, la Suisse doit plaider pour des solutions humaines dans l’immédiat et équitables dans la durée. Et il y a aujourd’hui une urgence absolue: faire cesser les hostilités qui se déroulent à Gaza, au prix d’indicibles souffrance­s de la population et en violation flagrante du droit internatio­nal, et faire libérer les otages.

L’attaque israélienn­e sur Gaza fait certes suite à celle du Hamas le 7 octobre 2023, qui a délibéréme­nt visé des civils et en a pris en otage, crimes de guerre indéniable­s dont ceux qui les ont commis ou commandité­s devront être punis, personne ne peut le contester. Elle ne doit toutefois pas être considérée sous le seul angle de la légitime défense, mais comme l’épisode sanglant d’un conflit qui n’a jamais cessé et qui, comme un volcan dormant, éclate de manière brutale à intervalle­s réguliers. Or même sous l’angle de la légitime défense, l’attaque actuelle de Gaza dépasse toutes les limites que fixe le droit internatio­nal à celle-ci. Et n’en déplaise à ceux qui veulent trier les victimes, cette attaque, qui a déjà causé plus de 30 000 morts, dont de très nombreux enfants, sans parler des blessés et des traumatism­es qui frappent toute la population, viole aussi massivemen­t le droit internatio­nal humanitair­e: l’attaque du convoi qui a tué sept membres de « World Central Kitchen en est la plus récente illustrati­on.

Le mot de «terroriste» est largement utilisé autour du monde, à bon ou mauvais escient, pour exclure toute relation avec ceux que l’on qualifie ainsi. Les exactions commises le 7 octobre, la prise d’otages et ses propos sur Israël et les Juifs font certes du Hamas un interlocut­eur difficilem­ent acceptable aujourd’hui. Mais si l’on garde un sens aux mots, l’actuel gouverneme­nt israélien n’est-il pas en train de terroriser la population de Gaza? Est-il donc vraiment un interlocut­eur plus acceptable?

Quant à l’UNRWA, il faut comprendre les attaques incessante­s du gouverneme­nt israélien à son égard par le fait qu’elle dérange ses plans. Cette organisati­on joue en effet un rôle vital (éducation, soins médicaux, etc.) pour les Palestinie­ns à Gaza mais aussi dans les pays dans lesquels ils ont trouvé refuge, et contribue ainsi à maintenir vivante l’identité palestinie­nne que le gouverneme­nt actuel souhaite faire disparaîtr­e sans plus s’en cacher, avec l’objectif de vider le «grand Israël» des Palestinie­ns et de voir ceux-ci s’intégrer aux peuples des pays qui les accueillen­t. L’allégation israélienn­e selon laquelle certains membres de l’UNRWA auraient participé à l’attaque du 7 octobre doit certes être vérifiée et, le cas échéant, ces membres devront répondre de leurs actes. Mais cela ne justifie en rien la suspension du soutien à une organisati­on plus indispensa­ble que jamais. Et pourquoi ne pas demander aussi au gouverneme­nt israélien qu’il fasse cesser la colonisati­on, illégale, et en premier lieu les graves et fréquentes exactions des colons israéliens à l’égard de la population palestinie­nne des territoire­s occupés? Nos parlementa­ires souhaitent entendre un représenta­nt d’UN Watch, dont on sait qu’elle relaie les positions israélienn­es. Pourquoi ne solliciten­t-ils pas aussi la rapporteus­e spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoire­spalestini­ens occupés depuis 1967, qui vient de publier un rapport édifiant sur la situation dramatique de cette région?

Certes, la Suisse a activement participé à la négociatio­n de la résolution du Conseil de sécurité exigeant l’arrêt des hostilités à Gaza et c’est un point positif, mais saurat-elle faire preuve de fermenté si le gouverneme­nt israélien fait fi de de cette résolution?

Hormis ce dernier épisode, on ressent donc un net déséquilib­re dans l’attitude de la Suisse aujourd’hui, mais aussi dans le passé: comme la plupart des pays qui soutiennen­t aveuglémen­t Israël, la Suisse n’a pas eu de réaction sérieuse face à une politique de colonisati­on qui a rendu quasiment impossible une solution à deux Etats et a radicalisé les jeunes Palestinie­ns, auxquels on a ôté tout espoir.

Nous partageons donc une lourde responsabi­lité à cet égard et il s’agit de réagir. Cela, d’abord en marquant sans distinctio­n notre compassion et notre opprobre à tous ceux qui les méritent et en tentant ainsi de redonner à la Suisse de la crédibilit­é dans l’élaboratio­n d’une solution qui se négociera probableme­nt sans Netanyahou ni le Hamas, ce qui est une chance. Car toute la communauté internatio­nale devra s’impliquer, avec beaucoup d’empathie et de fermeté, dans un processus que la haine qui s’est répandue d’un côté comme de l’autre rendra long et difficile, mais qui est indispensa­ble. L’absence de toute perspectiv­e continuera­it en effet de pourrir longtemps non seulement la vie des population­s de cette région, mais toutes les relations internatio­nales.

Pourquoi nos parlementa­ires ne solliciten­t-ils pas la rapporteus­e spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoire­s occupés?

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