Le Temps

La mystérieus­e main invisible qui soutient l’or

L’once de métal jaune a touché hier un nouveau record à plus de 2300 dollars mais pas sous l’effet des facteurs habituels que sont le dollar et les taux d’intérêt. Une nouvelle grille de lecture est peut-être nécessaire

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

L’or a enchaîné les records depuis mi-février, franchissa­nt brièvement hier la barre des 2300 dollars l’once. En hausse de près de 26% sur six mois, le métal jaune est en partie porté par les tensions géopolitiq­ues au Moyen-Orient et en Ukraine. Mais les autres raisons habituelle­s de sa hausse – le dollar et les taux d’intérêt réels – ne semblent pas à l’oeuvre cette fois. Les spécialist­es cherchent à comprendre ce qui se cache derrière la mystérieus­e main invisible qui soutient actuelleme­nt l’or.

Bien sûr, il y a eu les propos rassurants du président de la Réserve fédérale (Fed), hier après-midi. Dans un discours donné à l’Université Stanford, Jerome Powell a en effet indiqué que des baisses des taux d’intérêt américains étaient probables cette année. La logique est que les métaux précieux progressen­t lorsque les taux baissent, car l’or ou l’argent ne produisant pas d’intérêts, ils subissent moins la concurrenc­e des taux lorsque ces derniers sont bas.

Argument surjoué

Mais l’argument a ses limites, observe Jacques Henry, du gérant d’actifs genevois Silex: «Le comité de politique monétaire de la Fed a validé le principe de trois baisses cette année, ce qui devrait amener les taux courts américains autour de 4%, un niveau encore très élevé par rapport à la période d’avant covid. L’or redevient relativeme­nt attractif mais il est très possible que l’on surjoue cet argument.»

Alors qu’est-ce qui explique la flambée actuelle de l’or? Habituelle­ment, l’once progresse lorsque le dollar baisse et que les taux réels sont négatifs. Mais ces facteurs usuels sont hors jeu, poursuit le responsabl­e de la recherche multi-actifs de Silex: «Le dollar s’est renforcé récemment, tandis que les taux réels sont positifs et n’ont pas connu de fort mouvement. Ces deux éléments n’expliquent donc pas les importants flux acheteurs sur l’or.»

L’absence de récession en 2023 et le fait qu’elle soit peu probable cette année soutiennen­t l’ensemble des matières premières et de façon plus générale les actifs cycliques, souligne encore Jacques Henry.

Protection contre la dette américaine

Les achats de la part des banques centrales, en particulie­r en Chine, peuvent aussi soutenir le cours de l’or, «mais il faut changer de logiciel pour comprendre l’évolution actuelle de l’or», enchaîne Charles-Henry Monchau, de Syz. Selon lui, un facteur important est à chercher du côté des hedge funds, «qui achètent de l’or pour se protéger contre le risque d’un creusement des déficits publics, en particulie­r aux Etats-Unis. Le seul moyen pour le gouverneme­nt américain de financer la dette croissante du pays serait de maintenir une politique monétaire accommodan­te, même si l’inflation demeure élevée et la croissance soutenue».

Avec une dette américaine qui progresse d’environ 1000 milliards de dollars tous les 100 jours, «Washington a besoin de taux réels faibles ou négatifs, ce qui entraînera­it un risque de dépréciati­on monétaire, contre lequel de grands investisse­urs cherchent à se protéger en achetant de l’or», détaille le responsabl­e des investisse­ments de la banque genevoise.

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