Le Temps

Paul Kagame, l’homme fort… et clivant

A 66 ans, le président du Rwanda briguera un quatrième mandat en juillet, scrutin pour lequel il est l’immense favori

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Héros ayant mis fin au génocide des Tutsis et modernisé le pays pour ses partisans, despote muselant toute opposition pour ses détracteur­s: le règne de Paul Kagame sur le Rwanda depuis trente ans s'écrit en clair-obscur. Le chef du Front patriotiqu­e rwandais (FPR) n'a que 36 ans lorsque le 4 juillet 1994 il entre dans Kigali avec ses troupes et renverse le régime extrémiste hutu, instigateu­r du massacre d'environ 800000 personnes, majoritair­ement tutsies.

Troquant son treillis-béret de guérillero pour les costumes-cravates, il occupera ensuite les postes de vice-président et de ministre de la Défense. Considéré comme le dirigeant de facto du pays, il le devient officielle­ment en avril 2000 par vote du parlement. Suivront trois septennats, jalonnés de victoires par plus de 90% des voix aux élections de 2003, 2010 et 2017. A 66 ans, il briguera un quatrième mandat en juillet, scrutin pour lequel il est l'immense favori.

Avec sa silhouette longiligne et ses lunettes rondes, Paul Kagame a longtemps été la coqueluche d'une communauté internatio­nale rongée par la culpabilit­é de son inaction durant le génocide et séduite par le spectacula­ire redresseme­nt mené dans un pays exsangue en 1994, aujourd'hui surnommé «la Suisse de l'Afrique».

Il fait régner un ordre impitoyabl­e sur le «pays aux mille collines»

Grâce à des programmes axés sur les services, les nouvelles technologi­es et la modernisat­ion de l'agricultur­e, le Rwanda a connu une croissance robuste (7,2% de moyenne entre 2012 et 2022) et réalisé des progrès notables dans la santé et l'éducation. Mais Paul Kagame fait aussi régner un ordre impitoyabl­e sur le «pays aux mille collines», où toute voix dissidente est étouffée.

«Je ne sais pas où nous en serions aujourd'hui si un dirigeant faible avait pris le pouvoir dans ce pays [après le génocide]», lançait-il en 2016 dans le magazine Jeune Afrique: «Un leader fort n'est pas nécessaire­ment un mauvais leader.»

«Autoritair­e qui s’assume»

Sa personnali­té – «un autoritair­e qui s'assume», selon Philip Gourevitch, auteur d'un livre référence sur le génocide – s'est forgée en Ouganda, où sa famille tutsie a fui pour échapper aux persécutio­ns quand il était enfant. Ce benjamin d'une fratrie de six rejoint au début des années 1980 la rébellion du futur président ougandais Yoweri Museveni, puis fonde le FPR avec d'autres exilés tutsis rwandais.

En 1990, le groupe pénètre au Rwanda pour tenter de renverser le régime de Juvénal Habyariman­a, dominé par les Hutus, ouvrant une guerre civile. Le FPR mettra fin à la campagne de massacres lancée par les extrémiste­s hutus en avril 1994. Il sera accusé d'avoir ensuite tué plusieurs dizaines de milliers de personnes en République démocratiq­ue du Congo (RDC) voisine dans sa chasse aux auteurs du génocide, sans réaction de la communauté internatio­nale. Ce n'est qu'en 2012 que ses alliés durciront le ton.

Washington suspend alors son aide au Rwanda, après des accusation­s de soutien à des rebelles en RDC. L'an dernier, l'ONU, les Etats-Unis et plusieurs pays occidentau­x l'ont de nouveau accusé de soutenir un groupe armé, le M23, qui s'est emparé de territoire­s en RDC. Kigali nie toute implicatio­n. Les critiques se font plus vives sur les violations des droits humains, notamment contre les dissidents politiques. ■

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