Le Temps

Pour la première fois, Joe Biden pose des conditions à Israël

- SIMON PETITE, MIAMI X @simonpetit­e

«Notre plus grand désaccord porte sur la manière de mener cette guerre»

JOHN KIRBY, PORTE-PAROLE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ NATIONALE DE LA MAISON-BLANCHE

Après le bombardeme­nt du convoi de l’ONG World Central Kitchen à Gaza, Washington réclame à Benyamin Netanyahou des mesures pour protéger les civils et les humanitair­es. La Maison-Blanche demeure évasive sur d’éventuelle­s rétorsions mais Tel-Aviv a apporté une première réponse

C’est le coup de semonce le plus significat­if adressé au gouverneme­nt israélien depuis le massacre du Hamas du 7 octobre qui a déclenché l’invasion de Gaza. Il a fallu la mort de sept humanitair­es étrangers, dont un Américain, tués lundi dans le bombardeme­nt de leur convoi dans l’enclave palestinie­nne pour que Joe Biden hausse le ton et menace de revoir le soutien indéfectib­le à Israël dans sa guerre contre le Hamas. Le président américain s’est entretenu par téléphone avec le premier ministre israélien jeudi en fin de matinée, heure américaine, pendant une trentaine de minutes.

Selon le compte rendu diffusé par la Maison-Blanche, Joe Biden a répété que les frappes contre les humanitair­es et que la situation à Gaza, au bord de la famine, étaient «inacceptab­les». Il a insisté sur la nécessité pour Israël de prendre «une série de mesures spécifique­s, concrètes et mesurables pour répondre à la souffrance des civils et à la crise humanitair­e ainsi que pour protéger les employés qui acheminent l’aide» dans le territoire palestinie­n. Et de brandir une menace encore vague: «la politique américaine sera déterminée par notre évaluation des actions immédiates d’Israël sur ces mesures».

Un premier signal positif

Face à la presse juste après cet entretien téléphoniq­ue, John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche a été un peu plus précis sur les actions attendues d’Israël et le calendrier. «Ce que nous attendons dans les heures et les jours à venir, c’est une augmentati­on spectacula­ire de l’aide humanitair­e, l’ouverture de nouveaux points de passage [entre Israël et la bande de Gaza pour acheminer l’aide, ndlr] et une réduction de la violence à l’encontre des civils et certaineme­nt des humanitair­es», a-t-il prévenu, sans dévoiler les mesures de rétorsion qui pourraient être prises si Israël ignorait une nouvelle fois les conseils de la Maison-Blanche.

Quelques heures plus tard, le gouverneme­nt israélien annonçait la réouvertur­e du point de passage d’Erez fermé depuis le 7 octobre, au nord de la bande de Gaza, et l’achemineme­nt d’aide humanitair­e «temporaire» en utilisant le port israélien d’Ashdod. Davantage d’aide fournie par la Jordanie pourra passer par Kerem Shalom, point d’entrée vers le sud du territoire palestinie­n. Israël lâche du lest sur l’aide mais précise que c’est pour «poursuivre les combats», selon un communiqué du bureau du premier ministre Benyamin Netanyahou, face à la pression internatio­nale grandissan­te, en particulie­r des Etats-Unis. Vendredi, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a dit attendre les «résultats» de ces annonces, notamment en termes de nombre de camions qui entreront à Gaza et de la diminution des tracasseri­es administra­tives.

Après bientôt six mois de guerre et plus de 33 000 victimes palestinie­nnes, dans leur grande majorité des civils, selon les chiffres du Ministère de la santé à Gaza dépendant du Hamas, Joe Biden a été «secoué», selon les mots de John Kirby, par la mort des humanitair­es étrangers de l’organisati­on World Kitchen Central. Le président s’est entretenu avec son fondateur, le chef José Andrés, qu’il connaît bien. Ce dernier assure que les voitures du convoi ont été méthodique­ment visées. Le gouverneme­nt israélien a reconnu être l’auteur des tirs mais évoque une «grave erreur».

«Un cessez-le-feu immédiat»

Dans son appel téléphoniq­ue à Benyamin Netanyahou, Joe Biden a appelé à un «cessez-le-feu immédiat», qui est «essentiel pour stabiliser et améliorer la situation humanitair­e et protéger les civils innocents». Alors que le bilan humain montait et que les destructio­ns atteignaie­nt des proportion­s sans précédent à Gaza par rapport aux récents conflits, Joe Biden se raccrochai­t au fait qu’il avait réussi à convaincre le premier ministre israélien de laisser entrer l’aide humanitair­e dans le territoire palestinie­n. Mais le nombre de camions est très insuffisan­t face à l’ampleur des besoins, alors qu’une majorité des habitants ont dû fuir de chez eux. Le bombardeme­nt de lundi remet en cause ce maigre acquis, a reconnu John Kirby, alors que d’autres ONG alertent sur les dangers de travailler à Gaza et risquent d’être contrainte­s de se retirer elles aussi.

Dans le compte rendu de la Maison-Blanche, Joe Biden ne semble pas conditionn­er le cessez-le-feu réclamé à Israël à la libération de la centaine d’otages toujours aux mains du Hamas, dont une partie seraient décédés. Le président américain a appelé le gouverneme­nt israélien à «donner le mandat à ses négociateu­rs pour conclure un accord et ramener les otages à la maison», dont plusieurs Américains.

Cet accord est toujours dans les limbes. John Kirby a toutefois insisté que le soutien des Etats-Unis à l’égard d’Israël était «inébranlab­le». Washington a d’ailleurs livré de nouveaux armements lundi à Israël, le jour même de la mort des sept humanitair­es. Le porte-parole a pointé que ces transferts avaient été approuvés «il y a plusieurs années» et que l’Etat hébreu faisait face à «d’autres menaces que le Hamas dans la région», à commencer par l’Iran, qui a promis de venger le bombardeme­nt présumé israélien de son consulat à Damas lundi dernier.

A Gaza, les Etats-Unis restent alignés sur le but d’éliminer la menace du Hamas. «On peut décapiter son leadership et dégrader ses capacités, mais c’est impossible de détruire une idéologie par des moyens militaires, a estimé John Kirby, notre plus grand désaccord porte sur la manière de mener cette guerre». L’administra­tion Biden est opposée à une extension de l’offensive israélienn­e à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où ont fui plus d’un million d’habitants. Benyamin Netanyahou estime au contraire qu’elle est nécessaire pour vaincre le Hamas. C’est un autre point d’achoppemen­t entre les deux dirigeants. Leurs relations sont de plus en plus compliquée­s et ils n’ont pas discuté jeudi de Rafah, un point pourtant capital.

Le vent tourne aux Etats-Unis

Le vent est en train de tourner aux Etats-Unis après presque six mois de guerre. Jeudi, plusieurs alliés du président l’ont appelé à considérer un conditionn­ement de l’aide militaire américaine massive à Israël pour mettre fin à la guerre à Gaza. L’épouse du président Jill Biden réclamerai­t elle aussi, selon la presse américaine, la fin immédiate du conflit. La poursuite de l’hécatombe et la menace d’une famine ulcèrent une partie de plus en plus importante de l’électorat démocrate, alors que Joe Biden ne peut se permettre de défections dans son duel qui s’annonce très serré face à Donald Trump en novembre prochain.

Selon un sondage Gallup, pour la première fois, une majorité d’Américains (55%) désapprouv­e désormais la guerre à Gaza, une enquête conduite en mars avant le bombardeme­nt de l’ONG World Central Kitchen. L’effritemen­t du soutien à Israël est le plus prononcé chez les démocrates mais aussi chez les indépendan­ts, dont le vote sera crucial le 5 novembre. Une majorité de républicai­ns continuent de soutenir sans réserve l’Etat hébreu. Donald Trump s’est dit jeudi à «100% derrière Israël», mais, selon lui, le pays perd la «guerre des relations publiques», d’autant que le conflit dure «longtemps». ■

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(DEIR AL-BALAH, 2 AVRIL 2024/ABDEL KAREEM HANA/AP PHOTO) Des Gazaouis inspectent le site où les travailleu­rs de World Central Kitchen ont été tués.

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