Le Temps

Londres sous pression pour interdire l’exportatio­n d’armes vers l’Etat hébreu

Plus de 800 juristes, dont quatre anciens membres de la Cour suprême, estiment que le gouverneme­nt britanniqu­e pourrait être «complice de génocide» en poursuivan­t ces ventes à Israël

- ÉRIC ALBERT, LONDRES X @IciLondres

La pression mondiale s’accentue pour interdire les exportatio­ns d’armes vers Israël. Vendredi, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution «appelant les Etats à cesser les ventes, transferts ou diversions d’armes, de munitions ou d’autres équipement­s militaires à Israël, la force occupante, afin d’éviter de nouvelles violations du droit humanitair­e internatio­nal». Vingthuit de ses 47 membres ont voté pour cette résolution, 13 se sont abstenus (dont la France), six s’y sont opposés (dont les EtatsUnis et l’Allemagne).

La décision est purement symbolique, le conseil n’ayant aucun moyen légal d’empêcher les ventes d’armes. Mais elle s’ajoute aux appels de plus en plus pressants dans ce sens depuis lundi, quand des frappes d’Israël ont tué sept employés de l’associatio­n humanitair­e World Central Kitchen.

Parmi eux, trois Britanniqu­es. Et si le Royaume-Uni qui n’est actuelleme­nt pas membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (les pays en sont membres sur une base roulante de trois ans) n’a pas participé à ce vote, son gouverneme­nt se trouve désormais dans une situation particuliè­rement délicate sur le sujet.

«Fortes preuves» de non-respect du droit

Une série d’influents députés de la majorité exhortent à une suspension des ventes d’armes. Vendredi matin, Alicia Kearns, députée conservatr­ice et présidente du comité parlementa­ire sur les affaires étrangères, s’est jointe à ces appels. «Nous n’avons pas d’autre choix que de suspendre les ventes d’armes», a-t-elle déclaré à la BBC. Elle précise aussitôt qu’il «ne s’agit pas d’une décision politique», mais d’une obligation légale. Les règles encadrant les exportatio­ns d’armes au RoyaumeUni exigent en effet que l’entité qui les reçoit respecte le droit humanitair­e internatio­nal. Or, comme l’explique Peter Ricketts, membre de la Chambre des Lords et lui aussi favorable à une suspension des exportatio­ns, il y a désormais «de fortes preuves» qu’Israël «ne le respecte pas».

Ces prises de position font suite à la publicatio­n mercredi d’une longue lettre de 17 pages, signée de plus de 800 juristes, dont quatre anciens membres de la Cour suprême. Selon eux, le Royaume-Uni «pourrait être complice de génocide ainsi que de sérieuses violations du droit humanitair­e internatio­nal» en continuant à vendre des armes.

Leurs arguments légaux reposent très largement sur les décisions prises par la Cour internatio­nale de justice (CIJ). Le 26 janvier, suite à la plainte déposée par l’Afrique du Sud, celle-ci rendait une ordonnance intérimair­e, estimant qu’il existait un risque plausible de génocide à Gaza. Le 28 mars, elle ajoutait: «Les Palestinie­ns à Gaza ne font plus seulement face à un simple risque de famine, (…) mais la famine s’installe, avec au moins 31 personnes, dont 27 mineurs, qui sont déjà mortes de malnutriti­on et de déshydrata­tion.»

Ces ordonnance­s de la CIJ ont force légale au Royaume-Uni, estiment les juristes dans leur lettre. Le gouverneme­nt britanniqu­e est obligé d’en tirer les conséquenc­es. Dans ces conditions, le régime de licence d’exportatio­n d’armes au RoyaumeUni ne laisse guère de place au doute: s’il «existe un risque clair que l’équipement puisse être utilisé pour commettre ou faciliter une violation sérieuse du droit humanitair­e internatio­nal», l’autorisati­on doit être refusée. «Nous sommes inquiets que le gouverneme­nt britanniqu­e ne respecte pas ses obligation­s internatio­nales dans ce domaine», concluent les juristes.

La question des F-35

Embarrassé, le gouverneme­nt britanniqu­e n’a pas pris position sur le sujet. Rishi Sunak, le premier ministre, condamne la situation «de plus en plus intolérabl­e» à Gaza mais assure suivre «les règles et les procédures» pour les exportatio­ns d’armes, tout en refusant de publier les conseils légaux que son administra­tion a reçus.

Le Royaume-Uni n’est pas un exportateu­r majeur d’armes à Israël. Selon l’associatio­n Campaign against Arms Trade, qui suit les différente­s licences d’exportatio­n, les ventes s’élèvent à 489 millions de livres (560 millions de francs) depuis 2015. Mais certaines pièces détachées sont essentiell­es, dont 15% de celles constituan­t les avions de chasse F-35, actuelleme­nt utilisés à Gaza.

Aux Pays-Bas, la justice a déjà ordonné la suspension des exportatio­ns d’armes. Le 11 février, suite à une plainte de trois associatio­ns, une cour d’appel a bloqué la vente de pièces détachées du F-35, toujours sur la même base légale: «Les avions de chasse pourraient être utilisés dans la violation du droit humanitair­e internatio­nal, Israël ne prend pas suffisamme­nt en compte les conséquenc­es de ses attaques sur la population civile.»

Quant à la Suisse, le Secrétaria­t d’Etat à l’économie rappelle qu’avant même la guerre à Gaza, «en raison de la situation d’Israël dans une région extrêmemen­t instable, la Suisse n’autorisait en principe aucune exportatio­n définitive de matériel de guerre vers Israël». «La situation actuelle au ProcheOrie­nt» n’a ainsi rien changé. ■

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