Frédérique Perler, la magistrate prise en tenailles
Des recrutements réalisés par une haut cadre de la ville de Genève ont projeté la conseillère administrative écologiste au coeur d’un scandale politique. Un cas révélateur de la dépendance des magistrats envers l’expertise de leurs collaborateurs
Acculée de toutes parts, la conseillère administrative de la ville de Genève Frédérique Perler se trouve dans une situation de plus en plus inconfortable. Attaquée sur sa responsabilité politique après que les médias ont fait état d’embauches problématiques au sein de son Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité (DACM), la magistrate écologiste a choisi de garder le silence afin de respecter la protection de la personnalité de ses employés. Une situation qui met en lumière le lien de dépendance, parfois problématique, entre un élu et ses collaborateurs.
Pour rappel, l’affaire a commencé la semaine passée, après que la Tribune de Genève, puis Léman Bleu, ont révélé des engagements réalisés par la codirectrice du DACM. La fonctionnaire en question est accusée d’avoir recruté sa demisoeur sans faire clairement état de leur proximité. Six mois plus tard, elle aurait embauché un couple de connaissances, venu de la région parisienne. Pour postuler, la femme a utilisé une adresse fictive dans le canton de Vaud. Selon Léman Bleu, le Français aurait été, lui, sélectionné au détriment d’une meilleure candidature genevoise.
Difficile pour l’heure de mesurer les impacts des choix entrepris par la codirectrice du DACM sur Frédérique Perler, mais les réactions politiques fusent déjà de toutes parts. A l’instar de la section Ville de Genève du PLR, qui «se pose une fois de plus la question de la gestion déficiente de son département par Frédérique Perler», alors que cette dernière a renouvelé sa confiance envers son bras droit.
Ce n’est pas la première fois que la magistrate fait l’objet de critiques sur la gestion des services qu’elle chapeaute. Peu de temps après qu’elle a pris les rênes du DACM en 2020, la Tribune de Genève s’était fait l’écho des inquiétudes de plusieurs conseillers municipaux, dont le PLR Maxime Provini, qui estimaient que la magistrate s’effaçait au profit de ses fonctionnaires. Trois ans plus tard, ce dernier maintient ses propos: «Par manque de compétences, Frédérique Perler se repose en permanence sur ses collaborateurs. Elle défend des projets qui lui tiennent à coeur, certes, mais elle donne l’impression de se laisser «dicter» l’agenda par certains directeurs de service.»
Une réputation déjà entachée
A l’origine assistante sociale et formatrice au sein du Centre social protestant, Frédérique Perler n’a pas de compétences en aménagement ou dans la construction, des domaines centraux du département dont elle a hérité. «Tout comme la majorité des membres de la commission chargée de ces questions, nuance pour sa part Manuel Zwyssig, coprésident du Parti socialiste Ville de Genève. Nous demandons aux conseillers administratifs d’être en mesure de trancher, de faire des choix politiques en s’appuyant sur l’expertise de leur administration, pas de faire le travail des spécialistes.» Quant à la question des recrutements, les socialistes attendent les explications du Conseil administratif avant de se positionner. Une réunion de la municipalité est prévue en début de semaine prochaine.
Dans cette crise, plusieurs éléments jouent en défaveur de la magistrate, estime pour sa part Markus Hinterleitner, politologue au sein de l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP). «Ce scandale politique évoque de loin un conflit d’intérêts, une notion qui suscite de fortes réactions en Suisse», relève-t-il. Par le passé, la réputation de Frédérique Perler a déjà été entachée par d’autres affaires, comme lors du dégrappage du bitume aux Pâquis. «Ses adversaires peuvent donc être tentés de lier superficiellement les scandales entre eux, avec pour seul dénominateur commun Frédérique Perler», souligne l’expert.
«A terme, elle devra clairement faire un choix: désigner sa collaboratrice comme bouc émissaire ou la préserver» MARKUS HINTERLEITNER, POLITOLOGUE
Finalement, la magistrate verte dispose d’une marge de manoeuvre restreinte pour se défendre: jusqu’à présent, elle a refusé de s’exprimer afin de protéger la personnalité de ses collaborateurs. «Attendre les résultats de l’enquête interne pour se positionner politiquement permet de gagner du temps, souligne Markus Hinterleitner. Toutefois, à terme, elle devra clairement faire un choix: désigner sa collaboratrice comme bouc émissaire ou la préserver.» Cette décision relève généralement d’un calcul froid pour les politiciens en poste qui doivent choisir entre sauver leur réputation et perdre la précieuse expertise d’un fonctionnaire, ou l’inverse.
«En Suisse, les fonctionnaires ont un fort pouvoir, car les règles pour les licencier sont strictes. Si l’enquête révèle que l’employée n’a pas fauté, la magistrate a tout intérêt à ne pas la critiquer afin de préserver une bonne collaboration avec cette dernière», souligne le politologue. Ce champ de tension entre un magistrat et son administration rappelle à chacun que lorsque les urnes congédient les politiciens, les fonctionnaires, eux, restent.
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