Le Temps

Le nouveau vaccin contre le paludisme s’annonce décisif

Développé à l’Université d’Oxford, R21/Matrix est non seulement efficace, mais aussi bon marché. De quoi laisser envisager, pour de bon, une éradicatio­n de la maladie après la mort de millions de personnes. Le point en quatre questions

- X LORÈNE MESOT @Lorene_Mesot

Seul, il ne pourra pas tout. Mais en complément des mesures de lutte contre le paludisme déjà déployées, il pourrait être le facteur décisif, celui que les chercheurs, les agents de santé publique et, plus encore, les population­s concernées attendent depuis plus d'un siècle. Le nom de l'élu? R21/ Matrix. En octobre dernier, ce vaccin, développé par l'Université d'Oxford en collaborat­ion avec le Serum Institute of India, a reçu la validation de l'Organisati­on mondiale de la santé pour prévenir les infections chez les enfants à risque. Le Ghana, le Nigeria et le Burkina Faso ont déjà approuvé son utilisatio­n.

Début février, la publicatio­n des derniers résultats du vaste essai clinique consacré au produit est venue confirmer les attentes: l'efficacité du vaccin à douze mois a atteint 75% dans les zones de transmissi­on saisonnièr­e de la maladie. «Nous disposons aujourd'hui d'un nouvel outil qui pourrait être individuel­lement plus protecteur que n'importe lequel des outils que nous utilisons actuelleme­nt», se réjouissai­t Adrian Hill, le directeur de l'Institut Jenner à l'Université d'Oxford, qui a piloté les essais cliniques, dans un podcast de The Conversati­on il y a quelques mois. Le point en quatre questions pour prendre la mesure du virage qui s'annonce.

Pourquoi la malaria tue encore en 2024?

En 2022, le paludisme a tué 608 000 personnes, selon l'OMS. C'est plus que l'entier de la population du canton de Genève. A eux seuls, le Nigeria, la République démocratiq­ue du Congo, l'Ouganda et le Mozambique ont enregistré un peu plus de la moitié de ces décès. Et dans une grosse majorité des cas, les victimes sont des enfants de moins de 5 ans.

Malgré les efforts déployés, le nombre de cas de paludisme a largement augmenté depuis 2019. Etonnant? Malheureus­ement pas. Les agents de santé publique font face à un dangereux cocktail: des crises humanitair­es et des déplacemen­ts de population à répétition, un changement climatique qui a tout pour plaire aux moustiques et les contrainte­s qui pèsent sur les ressources des pays concernés. Sans compter une inquiétant­e résistance des moustiques aux insecticid­es et du parasite aux médicament­s.

Les moustiques étant le principal vecteur du parasite responsabl­e de la maladie, les insecticid­es appliqués à l'intérieur des murs des maisons et sur les moustiquai­res jouent un rôle essentiel. Seulement, au fil des ans, les insectes ont développé des résistance­s à ces produits. «Auparavant, les moustiques atteignaie­nt la moustiquai­re et tombaient morts. Aujourd'hui, ils dansent sur la moustiquai­re et s'en vont», explique ainsi Anthony Okara de l'Alliance des dirigeants africains contre le paludisme. Pour ne rien arranger, le comporteme­nt des moustiques aurait évolué de telle sorte qu'ils, semble-t-il, «piquent plus tôt dans la journée, avant que les gens ne se mettent au lit, et se reposent à l'extérieur, échappant ainsi à l'exposition aux insecticid­es», écrit l'OMS.

Comment le vaccin fonctionne-t-il?

Malgré plus d'un siècle de tentatives et des centaines de candidats à l'essai clinique, il a fallu attendre 2021 pour qu'un premier vaccin – baptisé RTS-S (ou Mosquirix) – passe la rampe. Sa portée est cependant limitée: son efficacité est relative et il est compliqué à produire et à déployer à large échelle. Si lui barrer la route est aussi ardu, c'est que la bestiole est complexe. Le parasite en question, un organisme unicellula­ire du genre Plasmodium, est doté de quelque 5500 gènes et a un cycle de vie sophistiqu­é. Inoculé par le moustique femelle, il rejoint le sang, puis le foie où il se reproduit durant une semaine environ avant de repasser dans le sang et de se multiplier dans les globules rouges.

L'action du vaccin R21/Matrix se concentre sur le moment où le parasite arrive dans l'organisme via le moustique, avant même qu'il n'atteigne le foie. Il est alors au stade de sporozoïte­s – une piqûre de moustique infecté contient entre 10 et 100 sporozoïte­s. «La forme sporozoïte est une cible naturelle pour essayer de tuer le parasite avant qu'il ne commence à se multiplier activement», décrit Adrian Hill, toujours dans The Conversati­on.

R21 est un vaccin sous-unitaire, ce qui signifie qu'il contient des parties purifiées de l'agent pathogène, ici en l'occurrence des parties d'une protéine sécrétée par le sporozoïte. Le vaccin contient également l'adjuvant Matrix-M développé par Novavax et déjà utilisé dans le vaccin Covid-19 du labo américain. «Cette technologi­e induit l'afflux de cellules présentatr­ices d'antigène au site d'injection et améliore la présentati­on de l'antigène dans les ganglions lymphatiqu­es locaux, ce qui signifie que le système immunitair­e est déclenché aussi fortement que possible», détaille le Gavi (Global alliance for vaccinatio­n immunisati­on) sur son site internet.

Avec quelle efficacité?

Le vaccin est injecté en trois doses à quatre semaines d'intervalle, avec un rappel un an après la 3e dose. «Dans les zones où la transmissi­on du paludisme saisonnier est forte, il a été démontré que le vaccin R21 permettait de réduire de 75% le nombre de cas symptomati­ques au cours des douze mois suivant l'administra­tion d'une série de trois doses», détaille l'OMS. La quatrième dose permet, elle, de maintenir l'efficacité du produit.

L’efficacité du vaccin à douze mois a atteint 75% dans les zones de transmissi­on saisonnièr­e de la maladie

Qui produit le vaccin et qui y aura accès?

Dans The Conversati­on, Adrian Hill fait le calcul. Il y a environ 40 millions d'enfants qui naissent chaque année dans des zones où sévit le paludisme en Afrique. «Ce qui signifie qu'environ 160 millions de doses sont nécessaire­s. Nous pouvons y parvenir, estime-t-il. Le Serum Institute of India, notre partenaire pour la fabricatio­n et pour la commercial­isation de ce vaccin, peut produire des centaines de millions de doses chaque année». L'avancée est colossale puisque le vaccin précédent, RTS-S, «ne pouvait être fabriqué qu'à raison de 6 millions de doses par an entre 2023 et 2026, selon les informatio­ns de l'Unicef».

La capacité d'approvisio­nnement initiale devrait être de l'ordre de 100 à 200 millions de doses par an, «pour un coût inférieur à 4 dollars par dose pour les organismes de santé publique», indiquent les chercheurs indiens, maliens, burkinabés, kényans et britanniqu­es qui ont mené les essais cliniques. De quoi permettre à une majeure partie des jeunes enfants résidant dans les régions à risque d'y avoir accès.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland