Pitch, coups de patte
La Maison du dessin de presse donne jusqu’au 20 mai une belle rétrospective du dessinateur jurassien. On goûte, on rit, on applaudit
C’est un paysage nocturne, en pleine campagne. Sous une lune décroissante, un chemin serpente entre les champs. Sur ce chemin, un jeune homme a collé sa main gauche; de la droite et poussant sur ses jambes, il tente de l’arracher du sol. Il s’égosille dans le vide: «Ohé? Police? Quelqu’un peut venir me décoller s’il vous plaît?» Cette scène, c’est un dessin de Pitch Comment; il est accompagné d’un titre – «Renovate Switzerland: la section campagnarde».
Ce dessin a paru dans Vigousse le 28 octobre 2022, et il fait partie des travaux exposés jusqu’au 20 mai prochain à la Maison du dessin de presse de Morges, qui offre au dessinateur de presse ajoulot une belle et diversifiée rétrospective. La planche manifeste surtout l’un des ressorts utilisés par Pitch Comment dans son programme de dézingage de l’actualité: on pourrait appeler ça le décalage ou, plus efficacement peut-être, «la translation – et après on regarde ce que ça peut bien donner.» Dans le cas présent, le mouvement est le suivant: dans les attendus communs, les actions menées par Renovate Switzerland sont des événements urbains (on bloque des autoroutes, des ponts…). En déplaçant le contexte vers la ruralité (autrement dit: en ne modifiant qu’une seule variable), la dynamique change complètement: le militant n’a plus personne à enquiquiner, mais personne ne viendra non plus, fût-ce à coups de pompe dans le derrière, le déloger de sa mauvaise posture. De cette simple mutation géographique naissent l’absurde, le comique, et un discours critique sur les oppositions ville-campagne (Pitch Comment a vécu à Paris, Bruxelles ou Barcelone, mais il reste un indécrottable Jurassien).
Facettes
A Morges, dans un accrochage extrêmement bien choisi, le public aura tout loisir de voir ce ressort comique s’actionner, au milieu de quelques autres – on pourrait ajouter que Pitch Comment est un grand chasseur des petits ridicules, un champion de l’expression directe, un humoriste qui n’a pas froid aux yeux – un bon type, quoi. L’exposition ne s’arrête toutefois pas aux dessins de presse (qu’il place principalement dans Vigousse, mais aussi dans Le Quotidien jurassien,Le Matin Dimanche,
La Torche 2.0, Heidi.news), elle ouvre aussi les autres tiroirs de la commode Comment: son passé de peintre, ses carnets de voyage (en Syrie, dans les camps de réfugiés palestiniens…), son travail de bédéaste (on lui doit Les Indociles, scénarisé par Camille Rebetez et porté à l’écran l’année passée), ses liens avec la scène (on se souvient qu’il dessinait en direct dans l’adaptation théâtrale, par Frank Semelet, de l’Hiver à Sokcho d’Elisa Shua Dusapin)… Ou encore, et c’est un haut fait, son oeuvre de parodiste: l’exposition donne à observer le volumen des Très riches heures du Jura, une revisitation aussi hilarante qu’intelligente de l’histoire du canton, et qui reprend de manière plus ou moins fidèle les codes de la tapisserie de Bayeux.
Pitch Comment, l’indocile. Maison du dessin de presse, Morges. Jusqu’au 20 mai.