Le Temps

Voulez-vous coucher avec moy?

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«Un homme sage doit aimer sa femme avec jugement, non avec passion.» Vous trouverez cette injonction dans l’Adversus

Jovinianum de saint Jérôme, qui devait certaineme­nt s’y connaître en la matière. Vous la verrez reproduite dans un beau petit livre de la médiéviste italienne Chiara Frugoni, Au lit au Moyen Age. Comment et avec qui*, traduit en français à la toute fin de l’année passée.

La majeure partie du texte de l’historienn­e est consacrée au lit médiéval dans sa facture (souvent peu confortabl­e au regard de nos attendus contempora­ins), dans sa disponibil­ité sociale (c’était tout de même un meuble de riches), ou dans ses usages (on s’y serrait à plusieurs pour s’y tenir chaud). Les derniers chapitres, eux, ouvrent sur les secrets d’alcôve – et plus particuliè­rement, il faut bien l’admettre, sur les embûches que l’Eglise plaçait tout au long du chemin menant à la transmutat­ion érotique du plumard.

Tenez, voici par exemple un décret édicté par Burchard, évêque de Worms aux alentours de l’an mil: «As-tu couché avec ton épouse le jour du Seigneur? Si oui, tu feras pénitence quatre jours au pain et à l’eau.» Le prélat avait quelques idées de gymnastiqu­e sexuelle: la levrette (canino more en V. O., c’est-à-dire «à la manière des chiens»)? Dix jours de pénitence – où l’on voit que la mise en applicatio­n du Kama Sutra était alors considérée comme plus grave que la messe crapuleuse. Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, avait d’ailleurs déjà douché bien des ardeurs, fussentell­es dûment encadrées: «Nous ne prétendons pas que le mariage soit coupable, et une union conjugale licite ne peut avoir lieu sans volonté charnelle. Mais la volupté ne peut en aucune manière être dépourvue de faute.»

Positions rétrograde­s? Certaineme­nt. Mais contre lesquelles le Moyen Age donnait lui-même, déjà, des coups de boutoir. La tradition des fabliaux, et l’accent qu’elle portait sur le motif du religieux lubrique, en est un exemple. Chiara Frugoni rappelle pour sa part que Boccace a placé dans le

Décaméron nombre de plaidoyers pour l’émancipati­on du désir, en particulie­r féminin. C’est par exemple le pitch de la nouvelle consacrée à Bartolomea Gualandi et son mari un peu trop respectueu­x des interdits. Au grand dam de Bartolomea, qui répliqua à son époux: «Quant aux fêtes, aux pénitences et aux jeûnes, je me réserve de les observer quand je serai vieille.» On applaudit. ■

* Chiara Frugoni, «Au lit au Moyen Age. Comment et avec qui». Les Belles Lettres, 158 p.

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