Le Temps

Les petits mobile homes dans la prairie

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Connu pour «Au fil du rail», où il a suivi les sans domicile fixe qui sillonnent les Etats-Unis en train de marchandis­es,

Ted Conover a partagé la vie d’hommes et de femmes en rupture de ban, dans le Colorado

Qu’est-ce qui fait un bon journalist­e? Entre autres choses, sans doute, sa capacité d’empathie ou de sympathie pour l’objet qu’il se donne. Dans le cas présent, il s’agit d’une immense étendue de prairie située dans la vallée de San Luis, au sud du Colorado. Ou plus exactement des gens, des marginaux qui y vivent dans des mobile homes ou des constructi­ons de fortune. Ted Conover qui, depuis quarante ans, s’est fait une spécialité de s’immerger dans le monde des migrants, des prisonnier­s ou des sansabris, a vécu pendant de longues périodes dans cette vallée, apprenant à connaître et à aimer les gens qu’il y rencontrai­t.

Ces «habitants de la prairie», «plutôt des gens pauvres en quête d’une nouvelle vie», ont acquis à bas prix quelques hectares le plus souvent dénués de toute infrastruc­ture où «ils arrivent avec une caravane en remorque ou un vieux camping-car» et où «ils prennent racine». Leur dénominate­ur commun est leur refus d’une société dont ils ont l’impression qu’elle leur dénie la liberté à laquelle ils pensent avoir droit autant que le désir de s’assurer une terre, si pauvre fût-elle, qui leur appartienn­e en propre.

Sans eau, sans électricit­é

Frondeurs, vivant en marge des lois, souvent adonnés à l’alcool ou à la drogue, ils n’en sont pas moins capables, parfois, d’une solidarité qui contraste vivement avec l’indifféren­ce de la vie citadine qu’ils ont fuie. Car la vie est dure dans cette prairie qui n’a ni canalisati­on d’eau, ni électricit­é, ni déchetteri­e, où la températur­e descend parfois à 30 degrés sous zéro l’hiver pour devenir brûlante l’été, où le vent souffle souvent avec une violence qui n’a d’égale que celle dont ces marginaux peuvent faire preuve envers ceux qu’ils n’aiment pas.

D’une manière qui rappelle aussi bien le Tête de Turc d’un Günther Wallraff que le Nomadland de Jessica Bruder (à l’inoubliabl­e adaptation cinématogr­aphique duquel on ne peut s’empêcher par moments de penser), Ted Conover donne ici à voir un journalism­e d’immersion dans ce qu’il a de meilleur. Refusant de juger ces personnes qui, dans plus d’un cas, font l’objet de poursuites judiciaire­s, qui sortent de prison ou qui sont en fuite, cherchant à les aider autant qu’à les comprendre, il leur rend un hommage fait d’une sympathie aussi accueillan­te que compréhens­ive.

En même temps que Là où la terre ne vaut rien, les Editions du sous-sol ont eu l’excellente idée de republier un autre livre de Conover, Au fil du rail, publié à l’origine voici plus de vingt ans, consacré aux sans-abris itinérants qui traversent les Etats-Unis d’un côté à l’autre à bord de convois de marchandis­es sur lesquels ils sont montés de façon clandestin­e et dont il va partager l’existence aussi rude que colorée pendant plusieurs mois. Là encore, son récit fait preuve d’une grande humanité que l’admirable traduction d’Anatole Pons-Reumaux restitue à merveille. John E. Jackson

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Auteur Ted Conover
Titre Au fil du rail
Traduction Anatole Pons
Editions Du sous-sol
Pages 408
Genre Récit Auteur Ted Conover Titre Au fil du rail Traduction Anatole Pons Editions Du sous-sol Pages 408
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