L’Autriche incapable de sortir de sa dépendance au gaz russe
Plus de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, Vienne continue d’être liée à Moscou pour son approvisionnement. Un résultat d’erreurs stratégiques et politiques qui met aujourd’hui le pays dans l’embarras
Avant l’invasion de l’Ukraine, l’Autriche importait 80% de son gaz de Russie. Deux ans plus tard, force est de constater que cette dépendance persiste: en janvier 2024, 97% des importations de gaz de la république alpine provenaient toujours de Moscou. Si le chiffre embarrasse, le chef de l’Agence autrichienne de l’énergie, Franz Angerer, insiste sur le fait que les quantités absolues, elles, ont diminué: «La quantité de gaz importée de Russie est en baisse constante depuis deux ans, avant tout car nous consommons nettement moins de gaz aujourd’hui en Autriche. La situation d’il y a deux ans était très problématique, aujourd’hui nous sommes mieux positionnés», plaide-t-il. Il reconnaît toutefois qu’une «grande partie du gaz arrivant en Autriche provient actuellement de Russie, ce qui est problématique. Notre situation est bien pire que celle d’autres pays européens».
Un état de fait qui, selon lui, est «un héritage historique des cinquante dernières années.» L’Autriche, pays enclavé, sans accès à la mer «a été le premier pays à importer du gaz de Russie. Et cette dépendance, qui a commencé à la fin des années 1960, n’a cessé de se renforcer. Tout le monde le sait, personne n’aime le dire.»
Un contrat avec Gazprom jusqu’en 2040
Une des dates clés est 2018. Cette année-là, alors que l’Autriche est dirigée par une coalition entre conservateurs et extrême droite, le contrat liant la compagnie énergétique autrichienne OMV, détenue pour un tiers par l’Etat, au géant russe Gazprom a été prolongé jusqu’en 2040. «En 2018, le contrat a non seulement été prolongé, mais aussi élargi», regrette Franz Angerer. «A l’époque, cela a été largement salué en Autriche par de nombreux représentants de l’industrie et du gouvernement. De mon point de vue, c’était un énorme fiasco qui nous a paralysés.» Ce contrat contient une clause take-or-pay, qui stipule qu’OMV doit payer pour les livraisons, qu’elle accepte le gaz ou non.
Comment, dès lors, remplir l’objectif fixé par l’Union européenne de se passer totalement du gaz russe d’ici à 2027?
L’actuel gouvernement écolo-conservateur dit vouloir «abandonner le gaz russe d’ici à 2027 mais n’est pas en mesure de fournir des réponses concrètes sur la manière dont OMV pourrait sortir de ce contrat avec Gazprom, sans devoir payer des sommes considérables», explique Gerhard Mangott, professeur à l’Université d’Innsbruck et spécialiste de la Russie. Selon lui, il est également «étrange que l’Etat autrichien, qui détient une part importante d’OMV, ne connaisse pas ce contrat, qui contient tout simplement les informations clés pour savoir si l’on peut ou non en sortir et comment». Les détails du contrat sont en effet tenus secret.
Mais ces dernières semaines, la ministre de l’Energie et du Climat, Leonore Gewessler, a durci le ton, martelant que la dépendance au gaz russe représentait «un risque économique et sécuritaire majeur pour l’Autriche». Elle a chargé un institut de recherche d’examiner d’ici l’été les conséquences économiques d’une résiliation de ce contrat et veut «mettre en oeuvre toutes les possibilités» pour en sortir. La ministre souhaite également imposer une obligation de diversification pour les fournisseurs d’énergie. Le but est de les contraindre à réduire progressivement
La ministre de l’Energie et du Climat, Leonore Gewessler, a durci le ton, martelant que cette situation représentait «un risque économique et sécuritaire majeur»
leurs importations de gaz russe. Une loi est en cours d’élaboration, mais pour qu’elle soit adoptée une majorité des deux tiers est nécessaire au parlement. Or cela est loin d’être acquis, notamment à cause du FPÖ, le parti d’extrême droite aux positions pro-russes.
Le besoin d’une volonté politique
Franz Angerer veut croire que l’Autriche réussira à se passer totalement du gaz russe d’ici à 2027: «C’est tout à fait faisable, les possibilités techniques sont là.» De fait, le projet, discuté depuis des mois, d’extension du gazoduc reliant l’Autriche à l’Allemagne vient d’être mis en oeuvre. L’ajout d’un tronçon de 40 kilomètres permettra à l’Autriche d’importer davantage de gaz depuis l’Europe de l’Ouest, que ce soit du gaz norvégien ou du GNL arrivant sur les côtes allemandes, belges ou françaises. L’Etat a investi 70 millions d’euros pour ce projet, qui sera effectif en 2027.
Si des solutions techniques existent, reste à savoir si la volonté politique sera au rendez-vous. Gerhard Mangott estime que, de manière générale, l’Autriche n’a pas pris la pleine mesure du changement de paradigme qu’implique la guerre en Ukraine: «En Autriche, certains pensent encore que lorsque cette guerre sera terminée, dans un, deux ou trois ans, un rapprochement avec la Russie sera à nouveau possible dans le domaine économique et financier. Il y a encore l’illusion que les choses pourraient être comme avant l’invasion.»
Reste surtout une grande inconnue: quel gouvernement dirigera l’Autriche à l’avenir? Des élections législatives sont prévues à l’automne prochain et le FPÖ caracole actuellement en tête des intentions de vote. Or, son chef a clairement signifié qu’il ne comptait pas se passer du gaz russe. ■