Le Temps

Un élu de l’AfD est accusé d’avoir touché de l’argent de la Russie

Selon un média tchèque, le parlementa­ire fédéral aurait perçu de l’argent par un réseau de propagande russe avant d’accorder un entretien. L’affaire intervient dans un contexte déjà tendu pour le parti d’extrême droite

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

Il y a encore quelques jours, Petr Bystron était méconnu du grand public allemand. Cela vient de changer. Depuis le 3 avril, cet élu fédéral, membre du parti d’extrême droite Alternativ­e pour l’Allemagne (AfD) et numéro deux sur la liste de ce même parti aux élections européenne­s du 9 juin, est soupçonné d’avoir perçu de l’argent de la Russie.

L’informatio­n a été révélée par le journal tchèque Denik N, qui cite des sources ministérie­lles et évoque une rémunérati­on pour une interview donnée au média prorusse Voice of Europe. Fin mars, les services de renseignem­ent de République tchèque avaient mis à jour un vaste réseau de propagande dirigé et financé par la Russie. Pierre angulaire de ce réseau et basé à Prague, Voice of Europe a depuis été mis à l’arrêt.

«Tous ceux qui s’engagent pour la paix et contre la poursuite de la guerre en Ukraine sont diffamés comme étant des agents russes» PETR BYSTRON, DÉPUTÉ ALLEMAND

«Le sommet de l’iceberg»

Petr Bystron ne serait pas le seul concerné. Les autorités tchèques évoquent plusieurs centaines de milliers d’euros versés à des eurodéputé­s français, belges, hongrois, néerlandai­s et polonais. «Je suis persuadée que ce que nous savons actuelleme­nt n’est que le sommet de l’iceberg», commentait vendredi la vice-présidente du Parlement européen, Vera Jourova.

Déjà affaiblie par les révélation­s d’une réunion secrète en novembre entre certains de ses représenta­nts et des membres de la Mouvance identitair­e, la direction de l’AfD se montre mal à l’aise face à ce nouveau scandale. Ses deux coprésiden­ts ont adressé un ultimatum à Petr Bystron pour s’expliquer et évoqueront son cas ce lundi.

Quant à la tête de liste de l’AfD aux européenne­s, Maximilian Krah, il a déconseill­é à son collègue de faire campagne, le temps que cette affaire soit éclaircie.

Voyages tous frais payés en Russie

L’intéressé, lui, rejette les accusation­s. Dans une lettre, il explique n’avoir «à aucun moment reçu de paiements en espèces ou en cryptomonn­aies» de la part de ce réseau d’informatio­n et estime que «tous ceux qui s’engagent pour la paix et contre la poursuite de la guerre en Ukraine sont diffamés comme étant des agents russes». Détenteur de la double nationalit­é allemande et tchèque, Petr Bystron ne s’étonne pas que cette «campagne de diffamatio­n» provienne du chef du gouverneme­nt de Prague, «l’un des plus fervents partisans de la poursuite de la guerre en Ukraine».

Contrairem­ent au parti d’extrême droite français Rassemblem­ent national, qui avait contracté plusieurs prêts auprès d’une banque russe dans les années 2010, aucune preuve de financemen­t, légal ou illégal, par la Russie n’a à ce jour été établie concernant l’AfD. Cette affaire pourrait donc être une première. «Certains liens sont depuis longtemps peu clairs», note le politologu­e Kai Arzheimer de l’Université de Mayence. «Des personnali­tés de l’AfD sont régulièrem­ent invitées en Russie, leurs voyages sont payés. Il y a certaineme­nt des avantages financiers pour certains membres», relève cet expert au Temps.

Risques d’espionnage

Sur le front idéologiqu­e, en revanche, les liens ne sont plus à démontrer, même si une minorité au sein de l’AfD soutient l’Ukraine. En 2013, lors de sa fondation, l’AfD n’était pas spécifique­ment pro-russe, mais tout a changé avec l’invasion de la Crimée, puis avec le remplaceme­nt des fondateurs libéraux du parti par des personnali­tés plus radicales et, enfin, avec l’invasion de l’Ukraine en 2022. Se présentant comme le parti de la paix, l’AfD prône l’arrêt des livraisons d’armes à Kiev, la reprise des livraisons de gaz russe et la levée des sanctions contre la Russie qui, selon elle, défavorise­nt l’économie allemande.

«L’un des éléments clés est aussi une certaine admiration pour Poutine et son leadership autoritair­e», constate Kai Arzheimer, qui note aussi des points communs «sur le rejet des droits des minorités en général et de l’égalité hommes-femmes».

Porte-voix indiscutab­le de la Russie en Allemagne, l’AfD est aussi de plus en plus perçue comme un facteur de risque en termes d’espionnage au profit du Kremlin. Pour preuve, les liens entretenus par un membre du parti et un agent double poursuivi par la justice berlinoise pour divulgatio­n d’informatio­ns à Moscou. Autant dire qu’à trois mois des élections européenne­s, l’AfD se serait bien passée d’un nouveau scandale.

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