Le Temps

Le Musée d’art et d’histoire de Genève explore un siècle de peintures françaises

Aidé par l’Université de Genève, le musée du bout du lac a sorti de ses réserves des toiles du XIXe siècle. Résultats: un catalogue raisonné et une exposition qui raconte à la fois les passions genevoises et les révolution­s picturales de l’époque

- ÉLÉONORE SULSER @eleonoresu­lser

Prendre son temps, regarder, découvrir, apprendre, comprendre, admirer. C’est ce que propose De Bleu, de blanc, de rouge, une exposition aux couleurs de la France mais aussi de Genève, puisque c’est de la France à Genève qu’il s’agit; celle des peintres français du XIXe que des Genevois ont collection­nés, achetés, aimés, et qu’on peut voir ou revoir aujourd’hui au Musée d’art et d’histoire.

Au MAH, le XIXe siècle français est riche et dure longtemps. «Pour nous, le siècle finit à la Première Guerre mondiale, précise Frédéric Elsig, professeur ordinaire d’histoire de l’art et de muséologie à l’Université de Genève. Nous avons fixé 1918, comme frontière pour le changement de goût». Pour explorer ce siècle de peinture française dans les réserves du musée genevois, il a fallu du temps et beaucoup de monde: «Nous avons organisé des séminaires dans l’atelier de Victor Lopes, conservate­ur et restaurate­ur en peinture du MAH, afin d’étudier les oeuvres dans leur matérialit­é», continue le professeur.

Bouquet impression­niste

Identifier, classer, rattacher, documenter, expliquer, restaurer et remettre en lumière ce corpus tiré des réserves du MAH – 212 oeuvres au bout du compte réunies dans un catalogue raisonné – est le fruit de trois ans de travail et d’une collaborat­ion étroite entre le musée et l’université, qui a rassemblé des dizaines de chercheurs et d’étudiants en histoire de l’art.

L’exposition n’est pas très étendue, mais elle est dense, témoin de la profondeur du travail académique. Et surtout, elle offre à celles et ceux qui la visitent toute une série de parcours parallèles. On peut, tout simplement, suivre sa curiosité et se lancer dans la découverte de chefs-d’oeuvre inconnus, en admirant par exemple ces fantomatiq­ues et audacieuse­s Jeunes filles regardant un poisson d’Eugène Carrière (1849-1906), en continuant vers ce caravagesq­ue Marchand de poisson, signé Théodule Ribot (1823-1891) en s’arrêtant sur ce rugueux et puissant Cimentier, vu par Alfred Roll (18461919) puis en admirant La Femme à la gerbe de fleurs ainsi qu’Helena, dite La Nécromanci­enne, deux portraits pleins de sensualité, imaginés par Ferdinand Humbert (1842-1934).

S’offrent aussi des oeuvres d’artistes célèbres avec L’Homme au nez cassé

d’Auguste Rodin, La Nymphe couchée à la campagne de Camille Corot (1796-1875) ou Un soir Ville-d’Avray,

du même artiste – qui fut le héros et le modèle des peintres de paysages du XIXe genevois. Plus loin, voici un «mur» consacré aux impression­nistes – arrivés très tard dans les collection­s genevoises, précise Frédéric Elsig. On y voit ce Coin de bassin aux nymphéas peint en 1918 par Claude Monet, cette Vue d’Auvers avec champ de blé (1890) de Vincent van Gogh ou ces merveilleu­ses Pivoines (vers 1880) de Pierre Auguste Renoir. Dans la dernière salle, trônent deux autres Van Gogh, désormais restaurés: Bouquet de fleurs dans un vase bleu et Harengs et oignons (1887) – dont la touche et la palette retrouvées semblent bien être celles du peintre hollandais.

L’exposition raconte ainsi plusieurs histoires, dont celles – à travers des portraits sculptés ou peints – des collection­neurs genevois, Jean-Gabriel Eynard qui construisi­t le Palais du même nom), Gustave Revilliod, fondateur de l’Ariana ou encore Walther Fol, moins connu, un ingénieur, installé en Italie et épris de voyage en Orient. Le souvenir du Musée Rath né en 1826, premier musée des beauxarts de suisse, ancêtre du MAH qui n’ouvrira qu’en 1910, apparaît aussi, ainsi que les coups de coeur et les emballemen­ts, les réticences des artistes et de conservate­urs genevois à l’égard de certains peintres français.

Chambre claire

Enfin, tout comme les étudiants de l’Université de Genève, le public est invité à se pencher à son tour sur la «matérialit­é» des oeuvres qu’il découvre en prenant la mesure des révolution­s techniques du XIXe. Les instrument­s du peintre trônent dans une sorte d’atelier reconstitu­é. On passe du mélange des pigments aux tubes de peinture, du meuble de peintre au chevalet que l’on dispose en plein air, sous un parasol. Alors que la figuration triomphant­e lance ses derniers feux avant les audaces formelles du XXe siècle, se dévoile un de ses secrets: la chambre claire ou camera lucida. Un instrument d’optique, breveté en 1806, qui permet de projeter une image sur le papier, afin d’en tracer très précisémen­t les contours. On peut tester!

Ainsi, au terme de De bleu, de blanc, de rouge, on aura non seulement redécouver­t la peinture française du XIXe siècle, mais aussi plongé dans les réserves et les ateliers de restaurati­on du MAH, acquis de nouvelles connaissan­ces en histoire de l’art, suivi des collection­neurs dans leurs périples, remonté le temps des musées genevois et enfin accompagné des peintres dans leurs quêtes du réel et des symboles, de la vie et de la lumière.

De bleu, de blanc, de rouge. Les peintures françaises du XIXe siècle du MAH, Musée d’art et d’histoire de Genève, jusqu’au 18 août. «De bleu, de blanc, de rouge. Catalogue des peintures françaises du XIXe siècle (1800-1918)», Silvana Editoriale, 544 p.

 ?? (MAH, PHOTO: B. JACOT-DESCOMBES/PRO LITTERIS) ?? Constant Troyon (1810-1865), «Bord de prairie», vers 1850-1860. Ce tableau, lié à l’école de Barbizon, a été restauré (retrait de vernis et réintégrat­ion) à l’occasion de l’exposition «De bleu, de blanc, de rouge».
(MAH, PHOTO: B. JACOT-DESCOMBES/PRO LITTERIS) Constant Troyon (1810-1865), «Bord de prairie», vers 1850-1860. Ce tableau, lié à l’école de Barbizon, a été restauré (retrait de vernis et réintégrat­ion) à l’occasion de l’exposition «De bleu, de blanc, de rouge».

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