Le Temps

Erdogan cède aux pressions de l’opinion

Ankara a restreint hier les exportatio­ns de nombreuses marchandis­es vers l’Etat hébreu. L’une des voix critiques de la guerre menée par Israël, le président turc doit chercher l’équilibre entre des mesures fortes et ses plans stratégiqu­es à long terme

- ANNE ANDLAUER, ISTANBUL @AndlauerAn­ne

Depuis le début de la guerre à Gaza, Recep Tayyip Erdogan semble mû par deux forces contradict­oires. D’un côté, son attachemen­t idéologiqu­e à la cause palestinie­nne – un attachemen­t profond, aussi ancien que son engagement politique et qu’il partage avec l’essentiel de sa base électorale. De l’autre, un pragmatism­e patenté, qui le conduit à ne prendre des décisions que si elles servent ses plans, qu’ils soient de court ou de long terme.

En annonçant, hier, des restrictio­ns majeures aux exportatio­ns turques vers Israël, le chef de l’Etat a cédé aux pressions de l’opinion publique, en dépit de sa conviction que ces sanctions ne serviront pas à grand-chose, et certaineme­nt pas à accélérer l’établissem­ent d’un cessez-le-feu à Gaza (puisque c’est la condition posée par Ankara pour lever son embargo partiel). Même s’il n’en dira rien, il est probable qu’aux yeux de Tayyip Erdogan, ces mesures contrarien­t ses plans, qui requièrent du temps: redresser l’économie turque, bâtir l’indépendan­ce de son industrie de défense, développer ses relations dans la région (y compris avec un Etat hébreu post-Benyamin Netanyahou), laisser la réputation et les liens d’Israël avec l’Occident se déliter le plus possible sans trop s’en mêler… Entre autres.

Riposte israélienn­e

Dans les faits, les représaill­es annoncées hier vont porter un coup dur aux relations économique­s relativeme­nt stables (malgré les fréquentes crises diplomatiq­ues des quinze dernières années) entre Israël et la Turquie. Les restrictio­ns aux exportatio­ns concernent 54 produits, dont de nombreux matériaux de constructi­on composés d’acier, de fer ou d’aluminium, mais aussi les pesticides, les peintures et autres engins de chantier.

Israël a réagi vigoureuse­ment aux entraves à l’export. Dans un communiqué, son ministre des Affaires étrangères, Israël Katz, promet de nouvelles mesures contre les importatio­ns turques, mais aussi de mobiliser «des pays et des organisati­ons pro-Israël aux Etats-Unis» pour les convaincre de ne plus investir en Turquie ni d’importer des biens en provenance de ce pays. Il va également demander à «ses amis» au Congrès américain d’envisager des sanctions contre Ankara en vertu des lois anti-boycott. En 2023, les entreprise­s turques ont exporté pour l’équivalent de 5,4 milliards de biens vers Israël, en baisse de 23% par rapport à 2022.

Si Recep Tayyip Erdogan décide maintenant de sanctions qu’il rechignait à décréter depuis six mois, c’est qu’à l’évidence ses tirades pro-palestinie­nnes, pro-Hamas et anti-Israël (le premier étant qualifié de «groupe de libérateur­s» et le second «d’Etat terroriste») sont loin de satisfaire sa base électorale. Au sein de son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développem­ent), on estime même que c’est l’un des facteurs de la lourde défaite aux élections municipale­s du 31 mars. La reconquête de l’électorat a donc commencé, même si Recep Tayyip Erdogan ne va pas jusqu’à la rupture des relations économique­s et diplomatiq­ues avec Israël, que réclament ses partisans.

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