L’épilogue d’un conflit entre le fisc genevois et une puissante famille indonésienne
Deux villas appartenant à l’épouse d’un magnat et frère du futur président d’Indonésie sont mises aux enchères. Une vente qui doit permettre aux créanciers, à savoir l’Etat de Genève et la Confédération, de récupérer leur dû
De mémoire d’agent immobilier, de tels biens vendus par l’Office des poursuites sont plutôt rares. Cette visite particulière a attiré une quinzaine d’acheteurs, baskets Gucci ou Louis Vuitton aux pieds. La vente forcée de ces deux luxueuses villas au bord du lac Léman, à Anières, a été annoncée dans la Feuille d’avisofficielle. Elles sont estimées à 5,2 et 12,5 millions de francs et appartiennent à l’épouse d’un richissime homme d’affaires indonésien, Hashim Djojohadikusumo.
Qui plus est le frère du futur président de l’Indonésie. Cette vente aux enchères doit notamment permettre aux créanciers, à savoir l’Etat de Genève et la Confédération de récupérer leur dû. L’administration fiscale réclame au couple plus de 131 millions de francs, pénalités comprises, bien loin du prix minimum pour l’acquisition des deux demeures, fixé à 7,1 millions de francs.
Sauna, piscine et ponton privé
La première maison de neuf pièces, construite dans les années 1940, attire particulièrement les convoitises des agents immobiliers. La petite tourelle donne à la demeure des airs de château de Walt Disney. Des pantoufles jonchent le sol, preuve que la maison est encore occupée. Par qui? Une représentante de la famille, nous glisse-t-on. A l’intérieur, les photographies sont donc interdites. Un imposant salon avec une cheminée, une salle à manger et une véranda donnent sur le lac.
On accède aux trois chambres en foulant le tapis rouge de l’escalier menant à l’étage. Là, une suite parentale, composée d’un dressing et d’une salle de bains, promet un confort certain. Elle contraste avec la pièce du deuxième étage, plus rudimentaire, où deux matelas sont posés à même le sol. Le lac se trouve à quelques mètres de la maison: il est possible d’y plonger depuis un ponton privé. Pour ceux qui préfèrent le chlore, une piscine est également à disposition, tandis que les partisans des bains de chaleur pourront profiter du sauna au soussol. Un pavillon et un garage à bateau viennent compléter le tout. Déjà vidée, la seconde villa, de six pièces, a été construite en 2002. Elle surplombe la première propriété, le jardin ainsi que la fontaine en pierre. Le déménagement devra être réalisé d’ici au 23 avril, date de la vente aux enchères.
Cette vente forcée signera peut-être l’épilogue du conflit entre l’administration fiscale genevoise et le couple. Une question toutefois demeure: comment un tel magnat, dont la fortune était estimée à 685 millions de dollars en 2020 par Forbes, se fait-il saisir, non pas une, mais deux villas? Pour comprendre, il faut remonter à 2006, relate Gotham City, qui avait révélé l’existence de cette procédure fiscale. Cette année-là, Hashim Djojohadikusumo fait fortune en revendant pour 1,9 milliard de dollars sa société pétrolière alors qu’il réside à Anières. Un mois plus tard, il quitte la Suisse avec son épouse. L’administration accélère alors les enquêtes fiscales contre le couple, qui doit des arriérés d’impôts depuis 2001.
Le couple a saisi en vain la justice pour s’opposer à la vente de ses villas. Hashim Djojohadikusumo a argumenté être insolvable après avoir dépensé une importante partie de sa fortune personnelle pour sauver l’entreprise de son frère, Prabowo
Subianto, ancien général de l’armée, et financer ses campagnes politiques, rappelle le média d’investigation Gotham City. Il explique également qu’une révision de la répartition de la dette fiscale doit être réalisée, car le couple a divorcé en 2019. Le Tribunal fédéral a toutefois refusé de reconnaître fiscalement ce divorce.
Puissance politique
«En Indonésie, personne ne comprendrait que cette richissime famille puisse avoir des dettes en Suisse…» souligne Jemma Purdey, éditrice du journal australien Inside Indonesia. Hashim Djojohadikusumo et son frère se sont aussi distingués par leur influence grandissante en politique. En 2008, les deux frères ont fondé et financé le parti Gerindra pour rétablir la réputation de la famille après deux exils à l’étranger, rappelle Jemma Purdey. Sous ses couleurs, Prabowo Subianto deviendra président de l’Indonésie en octobre 2024, après avoir été ministre de la Défense. «L’argent des activités économiques menées par Hashim Djojohadikusumo a financé les coûteuses campagnes politiques de 2009, 2014 et 2024 de Prabowo Subianto», souligne encore Jemma Purdey.
La fille de Hashim Djojohadikusumo a été élue pour la seconde fois au parlement indonésien en 2024. Les mésaventures fiscales de Hashim Djojohadikusumo en Suisse semblent loin d’entraver la progression politique de son clan.
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