Maximilian Büsser et sa madone
«Traite les autres comme tu voudrais être traité.» Cette pensée, Maximilian Büsser l’a héritée de sa mère, zoroastrienne. Il l’avait en tête quand il a créé sa propre marque horlogère, MB&F à Genève, en 2005. En mars 2021, cette pensée s’est transmuée en une montre, la M.A.D. 1 Editions. Et cette montre est devenue un cas d’école. Elle est à la fois un point de ralliement pour toute une communauté d’amateurs d’horlogerie, un pont entre l’exclusif et le populaire, l’ultra-luxe et l’abordable, et une leçon de gestion de marque. Surtout, cette montre, créée dans un geste spontané, s’est avérée un solide pilier d’affaires.
Il faut comprendre le contexte. MB&F est une fabrique de montres à part dans la constellation horlogère. D’ailleurs, on n’y fait pas de simples montres, mais des «Horological Machines». Ces machines sont des concentrés de créativité et de technicité. Des petits monuments de R & D plus coûteux à produire que des villas de maître. A chaque nouveauté, l’entreprise met tout ce qu’elle a sur la table. Le message de la marque repose sur cette prise de risque, comme l’explique le mentor: «Nous avons tout fait faux [en matière de logique économique, ndlr], mais nous avons fait ce qui était juste pour nous.»
Ces machines qui donnent l’heure ont donc un prix, élevé, forcément, plutôt au-delà des 100 000 francs l’unité. Pour Maximilian Büsser, cette façon d’exercer son métier d’entrepreneur et de directeur artistique est libératrice: «Je suis le champion des idées [débiles] qui font perdre de l’argent, ça, c’est ma force.» Mais cette liberté à un revers: personne dans son entourage direct n’a les moyens de s’offrir la moindre de ses oeuvres.
L’idée d’une montre accessible germe alors. Le dessin est achevé en 2014. Design contemporain (signé Eric Giroud, le même qui dessine les montres très chères), prix public près de 3000 francs. En 2016, tout est prêt pour le lancement. En 2018, un second enfant arrive dans la vie de Maximilian Büsser, il stoppe tout. Mars 2020, la pandémie frappe. L’entreprise compte 30 collaborateurs, pas de sécurité financière (100% autofinancée), chaque création est là pour payer la suivante. Les dépenses sont gelées. «Comment faire rentrer du cash?» Le projet refait surface. La production de 500 pièces est lancée.
«Je suis le champion des idées qui font perdre de l’argent, ça, c’est ma force» MAXIMILIAN BÜSSER, FONDATEUR DE MB&F
Mais le pire ne se produit pas. La collection MB&F courante se vend même deux fois mieux qu’à l’accoutumée. L’urgence est passée. «Mais que faire de ces 500 montres sans mettre la marque en danger?» Ce sera une édition, un coup unique, réservé aux «amis» (dans MB&F, le «f» signifie «friends») et aux membres de la «tribu» (les propriétaires de MB&F).
La première M.A.D. 1 Editions est bleue. Elle est lancée en mars 2021, par courriel. Un client la poste sur Instagram. La communauté s’enflamme, devient incendiaire: «Des fans de la marque qui ne comprennent pas, pour une fois qu’il y a une MB&F accessible, elle est réservée aux clients fortunés.» Maximilian Büsser éteint le feu dans une vidéo: «Nous vous avons entendu, laissez-nous du temps.»
En mars 2022, une deuxième édition est lancée, en rouge, 1000 exemplaires. La moitié est proposée aux clients mécontents, l’autre moitié est placée en loterie: les gagnants auront le droit de l’acheter… 500 heureux sur 18 000 participants. Il y aura un second tirage de la rouge. Puis une verte: 1500 exemplaires, 30 000 candidats.
Aujourd’hui, la M.A.D. 1 rapporte près de 10 millions de francs par an et constitue un pilier de MB&F. L’objet est devenu culte, mais il doit «rester un à-côté». La production est volontairement limitée entre 3000 et 4000 pièces par an, sur deux lancements.
Le 3 avril, une nouvelle loterie est ouverte. La quatrième M.A.D. 1 porte le surtitre «Time to Love». Elle a été conçue en collaboration, Jean-Charles de Castelbajac. Le styliste français tout terrain a touché à tout, sauf à la montre. A part une fois, en 1992, avec Swatch.
Cette nouvelle M.A.D. 1 électrise son monde. Il faut dire qu’elle est séduisante, avec ses trois ailes, rouge, bleu, jaune, qui tournent comme une toupie côté cadran, et son bracelet brodé. Une semaine après l’annonce, 15 000 personnes s’étaient déjà annoncées, sur une édition de 1000 exemplaires. Et les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 17 avril.
L’objet est visible durant la semaine horlogère de Genève, à la M.A.D. Gallery. On pourra la voir, la toucher. Comme une madone.
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