Le Temps

1MDB: «Je n’étais qu’un exécutant», dit le prévenu frappé d’amnésie

Coaccusé d’avoir détourné 1,8 milliard de dollars du fonds souverain malaisien, l’ancien cadre de PetroSaudi Patrick Mahony s’est décrit comme un technicien de la finance appliquant des décisions prises au plus haut niveau des autorités malaisienn­es et sa

- SÉBASTIEN RUCHE, BELLINZONE @sebruche

Après une première semaine consacrée aux questions préjudicie­lles, le procès lié à l’affaire 1MDB est entré dans le vif du sujet hier au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, avec l’audition de l’un des prévenus, Patrick Mahony. Cet ancien cadre de la société genevoise PetroSaudi est soupçonné d’avoir détourné 1,83 milliard de dollars au détriment du fonds souverain malaisien, de concert avec le patron de PetroSaudi, Tarek Obaid, lui aussi sur le banc des accusés. Prévenus notamment d’escroqueri­e, de gestion déloyale et de blanchimen­t, les deux hommes sont présumés innocents.

Svelte en costume sombre, cravate bordeaux et mocassins vernis, Mahony a un physique de gendre idéal mais une mémoire souvent défaillant­e face aux questions du président, David Bouverat. En particulie­r celles concernant le rôle de Jho Low, cerveau présumé de ce cas de kleptocrat­ie hors normes, qui aurait dépouillé le fonds 1MDB d’au moins 4,5 milliards de dollars.

Selon l’acte d’accusation de 213 pages, les deux animateurs de PetroSaudi et Jho Low, conseiller du premier ministre malaisien de l’époque Najib Razak, auraient convaincu le fonds 1MDB de co-investir dans des champs pétroliers en Argentine et surtout au Turkménist­an. Grâce à des complicité­s dans la direction de 1MDB et avec l’argument choc que le pouvoir saoudien soutenait PetroSaudi, détenue à 50% par le prince Turki, fils du roi Abdallah, au pouvoir à l’époque des faits.

La stratégie s’est avérée payante puisque 1MDB a fini par transférer 1,83 milliard de dollars en plusieurs tranches dans une coentrepri­se avec PetroSaudi entre 2009 et 2011. Mais PetroSaudi ne détenait pas les droits d’exploitati­on, seulement une option, sur le supposé faramineux champ pétrolier du Turkménist­an, valorisé à plus de 2,5 milliards de dollars et au coeur d’une dispute territoria­le entre ce pays et l’Azerbaïdja­n.

Enrichisse­ment illégal?

Selon l’accusation, Patrick Mahony se serait illégaleme­nt enrichi de 37 millions de dollars au passage, beaucoup moins que Tarek Obaid, crédité d’au moins 550 millions dans cette affaire. Jho Low est toujours en fuite, soupçonné de se cacher en Chine, et l’ex-premier ministre Razak a été condamné à 12 ans de prison pour corruption, une peine ramenée à 6 ans en février. Des fonds volés à 1MDB ont été utilisés pour acheter de l’immobilier, un jet privé, un yacht, des Picasso et pour financer le film Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese.

Quel sens donner à des e-mails de Jho Low demandant à ne pas apparaître dans les échanges entre PetroSaudi et 1MDB, dans cette fraude organisée en urgence entre l’été et l’automne 2009? Pourquoi Jho Low utilisait-il de multiples adresses e-mails, certaines dissimulan­t son identité? Le prévenu interrogé hier n’en savait rien.

Les éclairciss­ements demandés par la Cour sur des dizaines d’e-mails remontant à 2009 ou 2010 n’ont pas davantage ravivé la mémoire de Patrick Mahony, qui s’exprimait à travers un interprète. Qu’il ait été rédacteur ou destinatai­re de ces messages, l’Anglo-Suisse de 46 ans ne s’en souvenait pas dans la plupart des cas.

Qu’il ait été rédacteur ou destinatai­re de ces messages, Patrick Mahony ne s’en souvient pas dans la plupart des cas

Ce dont il s’est bien souvenu, en revanche, c’est qu’il n’avait qu’un rôle d’«exécutant» de la stratégie de l’entreprise. Une stratégie qui consistait selon lui à utiliser le nom du royaume saoudien et les accès qu’il ouvre pour trouver des opportunit­és d’investisse­ment dans le domaine de l’énergie.

Les connexions politiques, en particulie­r avec la cour royale, étaient le monopole de Tarek Obaid, qui lui donnait des instructio­ns, a détaillé Mahony: «Tout ce que faisait PetroSaudi était approuvé par Tarek et le prince Turki; j’ignore de qui ils recevaient leurs approbatio­ns mais Tarek a souvent mentionné qu’elles provenaien­t directemen­t du roi Abdallah.» Un roi que l’on croit reconnaîtr­e sous l’appellatio­n de «The Big Man» dans les nombreux e-mails échangés entre les protagonis­tes de ce tentaculai­re dossier.

Pour Patrick Mahony, «PetroSaudi était un véhicule d’investisse­ment privé du royaume wahhabite. La Malaisie et l’Arabie saoudite avaient décidé au plus haut niveau de coopérer et tout a découlé de là.»

Ce qui en a découlé, c’est la création d’une coentrepri­se entre 1MDB et PetroSaudi en septembre 2009. Le fonds malaisien y a apporté 1 milliard de dollars, tandis que la société genevo-saoudienne devait contribuer avec des actifs pétroliers valant 2,7 milliards – dont le champ turkmène.

De ce milliard, 700 millions ont été virés à la banque Coutts de Zurich sur un compte de la bien nommée société Good Star Limited, dont Jho Low était l’ayant droit économique. Les 300 millions restants ont atterri sur le compte de la coentrepri­se chez JPMorgan à Genève, et donc au bénéfice des deux prévenus, selon l’acte d’accusation.

Pas de pétrole, finalement

Mais Petrosaudi n’a finalement pas pu acquérir le champ pétrolier turkmène, Décision est alors prise par les animateurs de Petrosaudi de transforme­r la participat­ion de 1MDB dans la coentrepri­se en prêt convertibl­e islamique de 1,2 milliard consenti par le fonds, pour protéger 1MDB contre les aléas économique­s, a expliqué Patrick Mahony.

Un moyen surtout d’obtenir davantage d’argent de la part du fonds sur la base d’une histoire inventée de toutes pièces, estime le Ministère public. En septembre 2010, 1MDB a transféré 500 millions supplément­aires chez JPMorgan à Genève, captés par les prévenus selon l’accusation. Puis 330 millions courant 2011, cette fois sur le compte de Good Star, la structure de Jho Low. L’audition de Patrick Mahony se poursuit ce mercredi matin.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland