Le Temps

Fronde contre le mécanisme d’action collective

Une majorité d’entreprise­s se prononcent contre l’introducti­on de ces actions en Suisse, révèle aujourd’hui un sondage commandé par Economiesu­isse

- ALEXANDRE BEUCHAT ET JULIE EIGENMANN @beuchat_a @JulieEigen­mann

Donner la possibilit­é aux consommate­urs de se grouper pour obtenir réparation: sans grande surprise, 65% des entreprise­s sont contre. Alors que la Commission des affaires juridiques du Conseil national décidera jeudi si elle entre en matière sur le projet du Conseil fédéral, Economiesu­isse a dévoilé les résultats d’un sondage réalisé par l’institut de recherche Sotomo.

Depuis des années, les associatio­ns de consommate­urs ne ménagent pas leurs efforts afin d’inscrire l’action collective dans la loi. Pour la Fédération romande des consommate­urs (FRC), le Dieselgate est l’exemple parfait des lacunes du droit suisse. Alors que les victimes des moteurs truqués de Volkswagen ont reçu des indemnisat­ions dans plusieurs pays, 175 000 clients en Suisse n’ont obtenu aucune réparation.

Economiesu­isse a cependant toujours marqué sa ferme opposition à l’instaurati­on de ce mécanisme, estimant que les risques inhérents à ces nouveaux instrument­s juridiques sont massivemen­t sous-estimés.

«D’autres acteurs qui en profiterai­ent»

«Nous n’avions jamais eu de tels chiffres, récoltés auprès des entreprise­s, pour faire avancer la discussion», se félicite Erich Herzog, membre de la direction d’Economiesu­isse, responsabl­e du départemen­t Concurrenc­e et Réglementa­tion. Quid des PME alors, que certaines se disaient favorables à ce mécanisme, contrairem­ent aux grandes sociétés? Le sondage montre bien que plus une entreprise est grande et plus elle a d’expérience en matière de recours collectifs (à l’étranger), plus elle est réticente à l’égard du projet. «La différence se joue surtout entre les sociétés qui ont déjà fait l’expérience d’une telle action et les autres. Mais le sondage est clair: la majorité de l’économie est vraiment contre. Les sociétés, petites et grandes, ne veulent pas de litiges, ça va à l’encontre des affaires.» Une grande part d’indécis nuance ce constat.

Les entreprise­s misent sur des alternativ­es telles que les procédures de médiation, ou l’optimisati­on des plaintes existantes, montre aussi l’étude. «La médiation notamment est jugée supérieure et plus efficace. Une compensati­on individuel­le est possible en cas de problème, il n’est pas nécessaire d’agir au niveau collectif, car cela ajoute des problèmes supplément­aires», commente Erich Herzog.

Ce sondage met aussi en avant le sentiment, pour les entreprise­s, que les plus grands bénéficiai­res de ce nouveau système seraient les avocats (79%), les associatio­ns de protection des consommate­urs (75%), les activistes (66%) ainsi que les sociétés de financemen­t des coûts de procès (56%). «Dans ce cas, ce ne sont ni les consommate­urs ni la société qui en profiterai­ent», souligne le représenta­nt des entreprise­s.

Les entreprise­s craignent une avalanche de plaintes, pas toujours pertinente­s. Le Conseil fédéral dit prévoir des garde-fous en la matière. Insuffisan­t, selon Erich Herzog. «Si vous introduise­z un système d’actions collective­s trop faible, il ne sera pas utilisé par les consommate­urs. Mais si vous installez un système fort, le risque d’abus devient très important comme on a pu l’observer déjà au niveau européen. Certains acteurs ont d’autres motivation­s et souhaitent profiter des moyens de grandes entreprise­s, en «créant des cas», développe-t-il.

La menace des accords à l’amiable

L’étude souligne que si une entreprise est menacée par des actions collective­s – même si elles ne sont pas fondées – elle sera rapidement encline à «acheter sa liberté» par un accord afin d’éviter un procès. «Le risque réputation­nel est trop important. L’entreprise, même avec de bonnes chances de gagner, tentera de boucler le litige le plus vite possible», conclut Erich Herzog.

L’enquête, réalisée en février et mars 2024, s’adressait aux spécialist­es des questions juridiques des entreprise­s. La base de données est un échantillo­n de 230 personnes recrutées par Economiesu­isse. Les données de 82 personnes ont pu être intégrées dans les analyses. Un sondage qui n’est pas représenta­tif de l’ensemble de l’économie suisse, précise l’étude.

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