Fronde contre le mécanisme d’action collective
Une majorité d’entreprises se prononcent contre l’introduction de ces actions en Suisse, révèle aujourd’hui un sondage commandé par Economiesuisse
Donner la possibilité aux consommateurs de se grouper pour obtenir réparation: sans grande surprise, 65% des entreprises sont contre. Alors que la Commission des affaires juridiques du Conseil national décidera jeudi si elle entre en matière sur le projet du Conseil fédéral, Economiesuisse a dévoilé les résultats d’un sondage réalisé par l’institut de recherche Sotomo.
Depuis des années, les associations de consommateurs ne ménagent pas leurs efforts afin d’inscrire l’action collective dans la loi. Pour la Fédération romande des consommateurs (FRC), le Dieselgate est l’exemple parfait des lacunes du droit suisse. Alors que les victimes des moteurs truqués de Volkswagen ont reçu des indemnisations dans plusieurs pays, 175 000 clients en Suisse n’ont obtenu aucune réparation.
Economiesuisse a cependant toujours marqué sa ferme opposition à l’instauration de ce mécanisme, estimant que les risques inhérents à ces nouveaux instruments juridiques sont massivement sous-estimés.
«D’autres acteurs qui en profiteraient»
«Nous n’avions jamais eu de tels chiffres, récoltés auprès des entreprises, pour faire avancer la discussion», se félicite Erich Herzog, membre de la direction d’Economiesuisse, responsable du département Concurrence et Réglementation. Quid des PME alors, que certaines se disaient favorables à ce mécanisme, contrairement aux grandes sociétés? Le sondage montre bien que plus une entreprise est grande et plus elle a d’expérience en matière de recours collectifs (à l’étranger), plus elle est réticente à l’égard du projet. «La différence se joue surtout entre les sociétés qui ont déjà fait l’expérience d’une telle action et les autres. Mais le sondage est clair: la majorité de l’économie est vraiment contre. Les sociétés, petites et grandes, ne veulent pas de litiges, ça va à l’encontre des affaires.» Une grande part d’indécis nuance ce constat.
Les entreprises misent sur des alternatives telles que les procédures de médiation, ou l’optimisation des plaintes existantes, montre aussi l’étude. «La médiation notamment est jugée supérieure et plus efficace. Une compensation individuelle est possible en cas de problème, il n’est pas nécessaire d’agir au niveau collectif, car cela ajoute des problèmes supplémentaires», commente Erich Herzog.
Ce sondage met aussi en avant le sentiment, pour les entreprises, que les plus grands bénéficiaires de ce nouveau système seraient les avocats (79%), les associations de protection des consommateurs (75%), les activistes (66%) ainsi que les sociétés de financement des coûts de procès (56%). «Dans ce cas, ce ne sont ni les consommateurs ni la société qui en profiteraient», souligne le représentant des entreprises.
Les entreprises craignent une avalanche de plaintes, pas toujours pertinentes. Le Conseil fédéral dit prévoir des garde-fous en la matière. Insuffisant, selon Erich Herzog. «Si vous introduisez un système d’actions collectives trop faible, il ne sera pas utilisé par les consommateurs. Mais si vous installez un système fort, le risque d’abus devient très important comme on a pu l’observer déjà au niveau européen. Certains acteurs ont d’autres motivations et souhaitent profiter des moyens de grandes entreprises, en «créant des cas», développe-t-il.
La menace des accords à l’amiable
L’étude souligne que si une entreprise est menacée par des actions collectives – même si elles ne sont pas fondées – elle sera rapidement encline à «acheter sa liberté» par un accord afin d’éviter un procès. «Le risque réputationnel est trop important. L’entreprise, même avec de bonnes chances de gagner, tentera de boucler le litige le plus vite possible», conclut Erich Herzog.
L’enquête, réalisée en février et mars 2024, s’adressait aux spécialistes des questions juridiques des entreprises. La base de données est un échantillon de 230 personnes recrutées par Economiesuisse. Les données de 82 personnes ont pu être intégrées dans les analyses. Un sondage qui n’est pas représentatif de l’ensemble de l’économie suisse, précise l’étude.
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