Le Temps

La pression croît pour l’aide humanitair­e

A la suite du meurtre d’employés de l’ONG américaine World Central Kitchen, la semaine dernière, le ton monte pour qu’Israël ouvre davantage les points de passage

- LUIS LEMA X @luislema

Le message à faire passer est clair: la bande de Gaza est littéralem­ent «submergée» d'aide humanitair­e. L'organe chargé des activités gouverneme­ntales israélienn­es à Gaza et en Cisjordani­e (le Cogat) n'en finit plus de multiplier les messages en ce sens avec force points d'exclamatio­n sur les réseaux sociaux: «Près de 17 millions de livres (pounds) à Gaza pour la seule journée [du 8 avril]!» «Nous avons élargi la portée de l'aide en doublant le nombre de camions. Nous allons encore étendre nos efforts!»

Après que des soldats israéliens ont pris pour cible des véhicules de l'organisati­on américaine World Central Kitchen, tuant sept travailleu­rs humanitair­es la semaine dernière, la pression s'est soudaineme­nt accrue sur Israël pour l'ouverture de l'aide humanitair­e à Gaza. Ces pressions «commencent à avoir de l'effet, nous avons vu des changement­s de comporteme­nt», notait mardi devant les parlementa­ires américains le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin. Le président américain luimême confirmait dans une interview diffusée mardi que le ton avait changé du côté des Etats-Unis: «Il n'y a pas d'excuse pour ne pas fournir à ces gens l'assistance alimentair­e et médicale dont ils ont besoin. Cela doit être fait maintenant», assurait Joe Biden.

Selon les chiffres du Cogat, 468 camions d'aide humanitair­e ont été «inspectés et transférés» à Gaza mardi, ce qui en fait «le nombre le plus élevé depuis le début de la guerre». Avant octobre dernier, quelque 500 camions traversaie­nt quotidienn­ement les points de passage vers Gaza, tous contrôlés par les Israéliens, principale­ment celui de Kerem Shalom. Ces derniers mois, Israël avait toujours maintenu que le point de passage était constammen­t resté ouvert. «Israël n'a jamais placé de limites à la quantité de l'aide qui peut entrer à Gaza, assure-t-on au Cogat. Il ne limite absolument pas l'entrée de nourriture.»

Les nombreux témoignage­s confirment cependant la présence de centaines de camions d'aide stoppés au point de passage, parfois pendant plusieurs semaines. Ainsi, d'après les Nations unies, plus de la moitié des missions alimentair­es coordonnée­s par l'ONU avec les autorités israélienn­es ont été soit refusées, soit entravées, durant le mois de mars. Dans le nord de la bande de Gaza, où la situation est encore plus grave que dans le reste de l'enclave, aucun convoi de l'ONU n'avait été autorisé depuis le mois de janvier.

«Les chiffres ne correspond­ront jamais»

La question d'une possible volonté délibérée d'Israël d'affamer et d'assoiffer les Palestinie­ns de Gaza est au centre des considérat­ions de la Cour internatio­nale de justice (CIJ), l'organe judiciaire suprême de l'ONU, qui s'est penchée sur la «plausibili­té» qu'un génocide soit commis par Israël à Gaza. Fin mars, les juges de la CIJ enjoignaie­nt à Israël de permettre la livraison d'aide à Gaza «sans délai». Dernier rebondisse­ment, ce mardi: devant la même CIJ, l'Allemagne s'est employée à démontrer son «intense degré d'engagement» pour obtenir davantage d'assistance humanitair­e en faveur de Gaza.

Israël exige que les camions qui se pressent à la frontière ne soient qu’à moitié pleins

Au demeurant, les chiffres annoncés par Israël sur une plus large ouverture des points de passage vers Gaza continuent d'être contestés par les Nations unies. Pour le 8 avril, le nombre de camions passés par Kerem Shalom s'élevait à 154, auxquels s'ajoutent encore 69 passés par Rafah: un total de 223 véhicules, jugé encore bien insuffisan­t pour faire face à la catastroph­e humanitair­e en cours.

A Genève, un porte-parole de la coordinati­on humanitair­e de l'ONU, Jens Laerke, expliquait mardi que l'ONU continuait de faire face à des refus d'accès pour livrer de l'aide à Gaza. De surcroît, Israël exige que les camions qui se pressent à la frontière ne soient qu'à moitié pleins, pour faciliter les inspection­s. «Lorsqu'on compte les camions de l'autre côté une fois rechargés, ils sont pleins. Déjà là, les chiffres ne correspond­ront jamais», expliquait le porte-parole. Les restrictio­ns imposées par Israël exigent le transborde­ment de toutes les marchandis­es. En outre, rappelait Jens Laerke, «les Israéliens interdisen­t aux chauffeurs et aux camions égyptiens de se trouver dans la même zone que les chauffeurs et les camions palestinie­ns», de sorte que les transferts sont rendus beaucoup plus compliqués.

Un rapport publié par l'IPC (Integrated Food Security Phase Classifica­tion), un organisme internatio­nal qui fait autorité, prévoit que la moitié des habitants de Gaza connaîtron­t une insécurité alimentair­e «catastroph­ique» d'ici à quelques semaines, tandis que le nord de l'enclave atteindra le stade de la famine. Jusqu'ici, seuls la Somalie (en 2011) et le Soudan du Sud (2017) avaient atteint des niveaux si alarmants. Dans des commentair­es à ce propos, le Cogat contestait cette évaluation, en notant des «inexactitu­des» dans un rapport qui, à ses yeux, ne faisait pas assez mention «des efforts considérab­les menés par Israël pour améliorer la situation humanitair­e» à Gaza.

Jusqu'ici, c'est principale­ment l'UNRWA, l'agence de l'ONU chargée des réfugiés palestinie­ns, qui s'occupait de l'essentiel des livraisons, du stockage et de la distributi­on de l'aide. Mais le gouverneme­nt israélien exige désormais officielle­ment le démantèlem­ent de cette agence, en alléguant notamment une proximité de certains de ses employés avec le Hamas palestinie­n. Dans les statistiqu­es diffusées par le Cogat, il est indiqué que le Programme alimentair­e mondial (PAM) délivre désormais davantage d'aide que l'UNRWA (50% contre 37%). Israël compte aussi sur l'implicatio­n de certaines ONG qu'elle autorise à travailler à Gaza, au premier rang desquelles figure précisémen­t l'américaine World Central Kitchen. Elle aurait délivré 24 000 tonnes d'aide avant d'interrompr­e son travail à la suite de la mort de ses collaborat­eurs. Depuis le début de la guerre, plus de 200 travailleu­rs humanitair­es ont été tués à Gaza.

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