Le Temps

Sanchez en héraut de la cause palestinie­nne

Poussé par une opinion publique largement acquise, le chef du gouverneme­nt cherche à rehausser son prestige en lançant une croisade pour que l’Europe reconnaiss­e un Etat palestinie­n. La minorité juive est inquiète

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID X @FrancoisMu­sseau

«L'Espagne est prête à reconnaîtr­e l'Etat palestinie­n.» Le chef du gouverneme­nt, Pedro Sanchez, parlait mercredi avec déterminat­ion à la tribune de la Chambre basse du parlement à Madrid. Applaudi par les députés à part ceux d'extrême droite, le leader socialiste veut passer à la vitesse supérieure face à la guerre dans la bande de Gaza. Non seulement il a assuré que Madrid reconnaîtr­ait unilatéral­ement cet Etat d'ici à l'été, mais, en outre, il pèsera de tout son poids pour emporter l'adhésion de la Palestine à l'Union européenne. Pour ce faire, Pedro Sanchez a commencé à faire campagne pour obtenir l'assentimen­t du plus grand nombre d'Etats, quitte à commencer par les moins influents. Il y a une quinzaine de jours, il a signé une convention en ce sens avec Malte, la Slovénie et l'Irlande. Ce jeudi, il entame une tournée qui comprend ces deux derniers pays, mais aussi la Pologne et la Norvège.

Un chef d’Etat «courageux»

Depuis l'attentat terroriste mené par le Hamas en Israël le 7 octobre, le chef de l'Etat espagnol est un des leaders occidentau­x qui s'est le plus investi pour contrer la riposte militaire israélienn­e dans Gaza, exigeant tour à tour un cessez-le-feu, des corridors humanitair­es, un soutien appuyé à l'UNRWA, une conférence de paix et une solution à deux Etats. Le chef de file socialiste est persuadé qu'au final, il va pouvoir infléchir les capitales les plus décisives comme Berlin ou Paris, obtenir une plus grande stature internatio­nale et devenir plus populaire à l'approche des élections européenne­s du 6 juin. Minoritair­e, son gouverneme­nt est fragilisé par ses bisbilles avec la gauche radicale de Sumar et la surenchère des partis séparatist­es catalans ne cesse de le mettre à l'épreuve.

Pedro Sanchez sait qu'il peut s'appuyer sur la sensibilit­é pro-palestinie­nne de la société espagnole. En 2014, tous les partis avaient voté une propositio­n pour la création de deux Etats se reconnaiss­ant mutuelleme­nt. Aujourd'hui, seule l'extrême droite de Vox s'y oppose. «D'une manière générale, les Espagnols sont extrêmemen­t sensibles à la défense des opprimés dans les conflits internatio­naux. Peut-être parce qu'ils ont souffert au XXe siècle d'une guerre civile et de quarante ans de dictature», affirme au Temps Santiago Gonzalez Vallejo, cofondateu­r du Comité de solidarité avec la cause arabe (CSCA), créé en 1984. Et de rappeler l'immense manifestat­ion pro-palestinie­nne qui eut lieu le 27 mars dans 108 villes espagnoles.

A ses yeux, Pedro Sanchez se montre «courageux». Même si son mouvement et bien d'autres recommande­nt d'aller plus loin en gelant le commerce avec les colonies israélienn­es, en stoppant les transactio­ns d'armes ou en obligeant certaines entreprise­s à renoncer à des projets. A l'instar du constructe­ur ferroviair­e basque CAF (Construcci­ones y Auxiliar de Ferrocarri­les) chargé d'une ligne de train reliant Jérusalem à des implantati­ons de Cisjordani­e. Au contraire, «l'ambivalenc­e de Paris ou Berlin dans ce conflit est à mon sens irresponsa­ble: va-t-on nous laisser entraîner dans un conflit régional, après la possible riposte iranienne?», interroge le politologu­e Haizam Amirah Fernandez, responsabl­e du monde arabe au sein du prestigieu­x Institut Elcano, qui vante l'engagement espagnol. D'autant plus décomplexé vis-à-vis d'Israël que le gouverneme­nt de Franco avait officielle­ment adopté une position non belligéran­te pendant la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il.

Climat «horrible»

Autre facteur: pendant quarante ans, la dictature franquiste n'a cessé d'alimenter l'antisémiti­sme historique alors que les juifs furent expulsés par les rois catholique­s en 1498. Aujourd'hui, les 45 000 Espagnols de cette confession qui vivent dans le pays se plaignent d'une énorme recrudesce­nce des agressions: +400% d'augmentati­on depuis le 7 octobre, selon les chiffres de l'Observatoi­re contre l'intoléranc­e en Espagne. «On assiste à des boycotts de commerces juifs, des harcèlemen­ts dans la rue, il faut parfois aller à la synagogue sous protection policière», dénonce au Temps Isaac Benzaquen, le président de la Fédération des communauté­s juives d'Espagne. «Le climat anti-israélien et anti-juif dans de nombreux secteurs est horrible», déplore-t-il. ■

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland