Sanchez en héraut de la cause palestinienne
Poussé par une opinion publique largement acquise, le chef du gouvernement cherche à rehausser son prestige en lançant une croisade pour que l’Europe reconnaisse un Etat palestinien. La minorité juive est inquiète
«L'Espagne est prête à reconnaître l'Etat palestinien.» Le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, parlait mercredi avec détermination à la tribune de la Chambre basse du parlement à Madrid. Applaudi par les députés à part ceux d'extrême droite, le leader socialiste veut passer à la vitesse supérieure face à la guerre dans la bande de Gaza. Non seulement il a assuré que Madrid reconnaîtrait unilatéralement cet Etat d'ici à l'été, mais, en outre, il pèsera de tout son poids pour emporter l'adhésion de la Palestine à l'Union européenne. Pour ce faire, Pedro Sanchez a commencé à faire campagne pour obtenir l'assentiment du plus grand nombre d'Etats, quitte à commencer par les moins influents. Il y a une quinzaine de jours, il a signé une convention en ce sens avec Malte, la Slovénie et l'Irlande. Ce jeudi, il entame une tournée qui comprend ces deux derniers pays, mais aussi la Pologne et la Norvège.
Un chef d’Etat «courageux»
Depuis l'attentat terroriste mené par le Hamas en Israël le 7 octobre, le chef de l'Etat espagnol est un des leaders occidentaux qui s'est le plus investi pour contrer la riposte militaire israélienne dans Gaza, exigeant tour à tour un cessez-le-feu, des corridors humanitaires, un soutien appuyé à l'UNRWA, une conférence de paix et une solution à deux Etats. Le chef de file socialiste est persuadé qu'au final, il va pouvoir infléchir les capitales les plus décisives comme Berlin ou Paris, obtenir une plus grande stature internationale et devenir plus populaire à l'approche des élections européennes du 6 juin. Minoritaire, son gouvernement est fragilisé par ses bisbilles avec la gauche radicale de Sumar et la surenchère des partis séparatistes catalans ne cesse de le mettre à l'épreuve.
Pedro Sanchez sait qu'il peut s'appuyer sur la sensibilité pro-palestinienne de la société espagnole. En 2014, tous les partis avaient voté une proposition pour la création de deux Etats se reconnaissant mutuellement. Aujourd'hui, seule l'extrême droite de Vox s'y oppose. «D'une manière générale, les Espagnols sont extrêmement sensibles à la défense des opprimés dans les conflits internationaux. Peut-être parce qu'ils ont souffert au XXe siècle d'une guerre civile et de quarante ans de dictature», affirme au Temps Santiago Gonzalez Vallejo, cofondateur du Comité de solidarité avec la cause arabe (CSCA), créé en 1984. Et de rappeler l'immense manifestation pro-palestinienne qui eut lieu le 27 mars dans 108 villes espagnoles.
A ses yeux, Pedro Sanchez se montre «courageux». Même si son mouvement et bien d'autres recommandent d'aller plus loin en gelant le commerce avec les colonies israéliennes, en stoppant les transactions d'armes ou en obligeant certaines entreprises à renoncer à des projets. A l'instar du constructeur ferroviaire basque CAF (Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles) chargé d'une ligne de train reliant Jérusalem à des implantations de Cisjordanie. Au contraire, «l'ambivalence de Paris ou Berlin dans ce conflit est à mon sens irresponsable: va-t-on nous laisser entraîner dans un conflit régional, après la possible riposte iranienne?», interroge le politologue Haizam Amirah Fernandez, responsable du monde arabe au sein du prestigieux Institut Elcano, qui vante l'engagement espagnol. D'autant plus décomplexé vis-à-vis d'Israël que le gouvernement de Franco avait officiellement adopté une position non belligérante pendant la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il.
Climat «horrible»
Autre facteur: pendant quarante ans, la dictature franquiste n'a cessé d'alimenter l'antisémitisme historique alors que les juifs furent expulsés par les rois catholiques en 1498. Aujourd'hui, les 45 000 Espagnols de cette confession qui vivent dans le pays se plaignent d'une énorme recrudescence des agressions: +400% d'augmentation depuis le 7 octobre, selon les chiffres de l'Observatoire contre l'intolérance en Espagne. «On assiste à des boycotts de commerces juifs, des harcèlements dans la rue, il faut parfois aller à la synagogue sous protection policière», dénonce au Temps Isaac Benzaquen, le président de la Fédération des communautés juives d'Espagne. «Le climat anti-israélien et anti-juif dans de nombreux secteurs est horrible», déplore-t-il. ■