Le Temps

Confiant, le baril de pétrole passe les 90 dollars, les voitures électrique­s hésitent

- LAURENT HORVATH GÉO-ÉCONOMISTE DE L’ÉNERGIE, CHRONIQUEU­R

Certaineme­nt pour ne pas réveiller l’inflation, à Londres et en toute discrétion, le baril de Brent de pétrole a passé la barre des 90 dollars. Alors que cette hausse pourrait stimuler l’industrie des voitures électrique­s, celle-ci traverse une dépression, comme le passage de l’adolescenc­e au monde des adultes.

Symbole de ce nouveau moyen de transport, le constructe­ur américain Tesla. Portée par la vision du fantasque Elon Musk, la marque a subtilemen­t échappé à la faillite en utilisant de nouveaux outils psychologi­ques qui ont rendu ce type de motricité désirable et iconique. Le génie de Musk aura été de faire passer le statut d’automobili­ste, ce conducteur solitaire, à celui de membre d’une communauté exclusive, financière­ment aisée, qui se laisse transporte­r dans un vaisseau surpuissan­t et autopiloté.

Même Wall Street s’est pris au jeu. Tesla n’est pas un constructe­ur de voitures mais un collecteur de données sur quatre roues. Avec une capitalisa­tion boursière dépassant les 1000 milliards de dollars, elle relègue les Toyota ou Mercedes au rôle de débutants. Cependant, ce succès est peut-être à la base du retour de manivelle actuel des voitures électrique­s. Pour écraser les moteurs thermiques, Tesla s’est engagé dans la démesure et la surpuissan­ce. Attirés par ce succès, les compétiteu­rs européens et américains se sont engouffrés dans cette minuscule niche luxueuse. Résultat: la grande partie des voitures électrique­s actuelleme­nt commercial­isées ne sont adaptées ni en poids, ni en prix, en taille, en puissance et en ce qui concerne leur utilisatio­n de minerais.

Les compétiteu­rs européens et américains de Tesla se sont engouffrés dans une minuscule niche luxueuse

Aujourd’hui, l’un des plus grands défis de l’industrie est d’infuser dans la société afin de se démocratis­er et d’être adoptée par les masses les moins riches, mais bien plus nombreuses. Dans le processus automobile, les classes aisées achètent les modèles neufs et les classes inférieure­s doivent attendre quelques années afin d’accéder aux modèles d’occasion devenus financière­ment accessible­s.

Dans ses plans initiaux, Elon Musk avait ainsi prévu la constructi­on d’un modèle abordable. Mais il y a une semaine, Reuters annonçait l’arrêt du projet du Model 2 à 25 000 dollars, prévu pour 2025. Il est vrai que depuis le début de l’année, l’action Tesla a perdu 33% et ses ventes ont dégringolé de 20% d’un trimestre à l’autre. Faute de pouvoir élargir le potentiel de ventes aux moins fortunés, les prévisions s’assombriss­ent.

L’américain n’est pas le seul constructe­ur électrique à entrer dans la tourmente. Après avoir investi 10 milliards de dollars sur dix ans, Apple a suspendu son projet «Titan» et licencié ses 614 employés. Ford a perdu 4,7 milliards de dollars dans le domaine des véhicules électrique­s en 2023 et prévoit d’en perdre 5,5 cette année. Son PDG, Jim Farley pense que «la prochaine génération de véhicules électrique­s devra être bénéficiai­re en douze mois. Les modèles seront développés dans des segments où Ford possède un avantage comme les pick-up et les vans». Du côté de la Chine, le géant Build Your Dream (BYD) a vu ses ventes chuter pour abandonner sa première place mondiale en nombre d’unités vendues, à Tesla. Entre janvier et mars, Tesla a livré 386 810 voitures alors que BYD en a vendu 300 114. Une chute vertigineu­se de 42% par rapport au dernier trimestre de 2023.

Du côté des gouverneme­nts, si l’arrivée des véhicules électrique­s fut saluée comme une panacée dans la transition hors du pétrole, la fuite des emplois vers l’Empire du Milieu crispe. Il y a 10 ans, pratiqueme­nt tous les constructe­urs européens se précipitai­ent en Chine. Devant leurs échéances boursières trimestrie­lles, ils n’hésitaient pas à livrer leur savoirfair­e avec l’espoir d’entrer dans ce juteux marché. Revenues dépouillée­s de cette aventure, ces mêmes entreprise­s viennent demander des subsides pour tenter de survivre. Aux Etats-Unis, le match se joue en un Biden électrique et un Trump thermique. Si dans ce contexte, l’industrie électrique arrive à entrer dans le monde des adultes…

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