Le Temps

L’IA rend l’arnaque au CEO plus sophistiqu­ée

En Suisse, les escrocs ont non seulement cloné la voix d’un dirigeant d’entreprise mais ont aussi créé un double virtuel en vidéo de leur victime. Avec toujours le même but: obtenir des transferts de fonds importants

- ANOUCH SEYDTAGHIA X @Anouch

C’est une arnaque ancienne, dont les origines remontent à une vingtaine d’années environ. On l’appelle l’arnaque au CEO, ou arnaque au président. Le principe est très simple: un faux dirigeant ou responsabl­e financier d’une entreprise contacte l’un de ses subalterne­s et le presse d’effectuer un versement urgent vers une entité à l’étranger. Et l’argent parvient ensuite sur le compte d’escrocs.

Ces derniers mois, les hackers ont perfection­né leur technique pour tenter de se montrer de plus en plus convaincan­ts. Ils utilisent toutes les ficelles de ce que l’on appelle «l’ingénierie sociale», soit tous les moyens pour mettre en confiance leurs victimes. Ils envoient des e-mails et téléphonen­t également. Et comme l’explique cette semaine l’Office fédéral de la cybersécur­ité (OFCS), les escrocs emploient désormais des services d’intelligen­ce artificiel­le très perfection­nés.

En visioconfé­rence

Il vaut la peine de raconter cette tentative d’arnaque récente survenue en Suisse. Comme le détaille l’OFCS, l’affaire démarre lorsqu’un soi-disant avocat contacte le responsabl­e financier d’une entreprise helvétique par téléphone. L’escroc l’invite même à une vidéoconfé­rence avec son chef dans les minutes suivantes. Le directeur financier reçoit alors un e-mail contenant les données d’accès à la réunion. Celle-ci démarre. Et le responsabl­e financier a bien face à lui, sur l’écran, son patron qui lui parle en visioconfé­rence. Lors de l’entretien, le faux patron tente d’obtenir le numéro de téléphone portable de son subordonné et de le convaincre de déclencher des transactio­ns financière­s.

Heureuseme­nt, détaille l’OFCS, l’escroqueri­e a été découverte assez rapidement. «Les cybercrimi­nels s’étaient limités à la manipulati­on du visage du chef. Sa tenue vestimenta­ire ne correspond­ait pas du tout à ses habitudes. La voix n’était pas non plus très bien imitée», expliquent les spécialist­es en cybersécur­ité. Aucun transfert de fonds n’a été effectué.

Pour cette tentative d’arnaque, les pirates ont utilisé les moyens les plus modernes à dispositio­n: la vidéo du faux directeur a été créée à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le. Comment les hackers ont-ils pu la concevoir? Selon l’OFCS, ils ont certaineme­nt utilisé comme matériel de base des vidéos du dirigeant disponible­s publiqueme­nt sur internet et ont employé un logiciel spécialisé – mais facilement accessible – pour créer sur cette base une fausse vidéo, appelée «deepfake».

Ce n’est pas tout, puisque la voix a elle aussi été clonée. Pour la créer, les hackers ont sans doute passé des appels en amont. «Plusieurs entreprise­s ont signalé avoir reçu dernièreme­nt des appels téléphoniq­ues d’inconnus leur demandant diverses informatio­ns les concernant. Outre les informatio­ns obtenues qui pourraient être utilisées pour des attaques ciblées, ces appels peuvent permettre, au moyen de l’intelligen­ce artificiel­le ou d’une technique de deepfake, de copier la voix du patron», estime l’OFCS.

Alertes en Valais

Face à des hackers de plus en plus ingénieux, la plus grande prudence est de mise. L’OFCS estime qu’«on peut s’attendre à ce que les cyberattaq­ues soient de plus en plus souvent menées à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le». La Confédérat­ion recommande notamment de sensibilis­er le personnel au fait que des attaques ciblées peuvent être menées avec des informatio­ns disponible­s publiqueme­nt. L’OFCS avertit: «Sur votre site internet, publiez le strict nécessaire en matière d’informatio­ns concernant votre personnel. Cela vaut également pour les vidéos.»

On se souvient qu’en janvier, la police cantonale valaisanne informait qu’une entreprise s’était vu dérober près de 300 000 francs via une arnaque au président impliquant des appels téléphoniq­ues classiques. En automne 2023, cette même police cantonale valaisanne faisait état de plusieurs cas d’escroqueri­es et de tentatives d’arnaque au président depuis la mi-septembre, avec là aussi des pertes de plusieurs centaines de milliers de francs pour une autre société.

A l’étranger, les premiers cas d’arnaque au président avec des deepfakes commencent à apparaître. Début février, on apprenait qu’un salarié d’une multinatio­nale de Hongkong avait transféré 25,6 millions de dollars appartenan­t à son entreprise à des escrocs. La victime avait participé à une vidéoconfé­rence à laquelle étaient connectés plusieurs participan­ts. Tous leurs visages avaient été générés par des systèmes d’intelligen­ce artificiel­le... ■

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