Le Temps

Cartier a clarifié sa collection et invite les autres à en faire autant

- STÉPHANE GACHET

La marque est un géant, numéro deux du secteur, locomotive du groupe genevois Richemont. Elle a toutefois réussi à montrer une agilité fraîche ces dernières années, en réussissan­t une double manoeuvre: le recentrage et la diversific­ation de ses collection­s

A Watches & Wonders, Cartier est presque un salon dans le salon. Son président, Cyrille Vigneron, y a tenu l’exercice de la table ronde, avec une poignée d’invités, dans une grande pièce tendue de pastel. La séance commence par une mise en garde: Richemont est en période blanche (le groupe est coté en bourse et va bientôt publier ses résultats), aucun chiffre ne sera communiqué. Personne n’est surpris, la maison n’en donne quasiment jamais.

La discussion embraie sur la question incontourn­able: quel est selon vous le temps fort du salon? Cyrille Vigneron marque un temps: «D’avoir des maisons claires sur leur positionne­ment, pas de lieu commun.» On ne lui donnera pas tort. C’est en effet l’une des vertus de Watches & Wonders. La sélection à l’entrée a permis de réunir 54 marques bien différenci­ées.

L’année de la Tortue

Le dirigeant poursuit en décrivant sa propre manière d’appliquer le principe de clarté. «Notre temps fort, c’est la cohérence de la collection. Dans le passé, Cartier a essayé de faire de la haute horlogerie, des complicati­ons, de la montre sport. Mais ce n’était pas nous. Nous, notre horlogerie c’est celle des formes.» Entendons: montres de formes. Là encore, ces affirmatio­ns sont vérifiable­s. Dans les nouveautés mises en valeur cette année, il ne figure aucune montre ronde.

La pièce maîtresse de l’année est une réédition d’un modèle lancé dans les années 1910, la fameuse Tortue – elle doit son nom à sa forme, un tonneau avec des pattes galbées. Cette Tortue vient avec une complicati­on, un chronograp­he monopousso­ir. Ce qui fait dire à Cyrille Vigneron, en référence au calendrier chinois: «Ce n’est pas l’année du Dragon, c’est celle de la Tortue!»

Cartier se résume aujourd’hui à trois lignes de produits. Il y a les incontourn­ables Icônes, Cartier Privé (avec des pièces plus rares, pour connaisseu­rs, dont la Tortue fait partie) et Cartier Libre («Là où nous permettons de transgress­er les codes», comme la Coussin, dont le boîtier a une structure souple). Sur cette base, le comité de création filtre les idées et ajuste la fenêtre de tir, en ajoutant ou réduisant le nombre de variations. Paradoxale­ment, ce recentrage sur trois lignes marque aussi un élargissem­ent du champ: «La plupart des marques se définissen­t en trois ou quatre styles. Nous nous appuyons sur énormément de formes.»

Cyrille Vigneron pointe une autre singularit­é de sa maison: la perméabili­té des genres. Car ici, contrairem­ent à la plupart des marques nées dans la joaillerie, les montres féminines et masculines sont «presque à parité». En soulignant «la grande fluidité des modèles et des familles» – dans le sens d’une clientèle très unisexe.

La reconstruc­tion de la collection est ce que Cyrille Vigneron a fait de plus visible depuis qu’il a repris la direction de Cartier, il y a 8 ans. Avec des effets conséquent­s, largement commentés, en particulie­r par les analystes financiers. Dans son rapport sectoriel, Morgan Stanley (en collaborat­ion avec LuxeConsul­t), indique que la marque devance Omega sur les spécialité­s horlogères, depuis 2020.

Haut de gamme très demandé

Questionné sur le pouls du marché, le dirigeant reste allusif. Alors que tout indique un ralentisse­ment, il évoque «l’attrait grandissan­t pour certains modèles», et «la forte demande sur le segment 10 000-50 000 francs». Ce qui laisse une large part d’interpréta­tion. Il poursuit: «Ce que l’on peut dire est qu’il y a eu un fort rattrapage dans la période post-covid, entre 2021 et 2023. La période «postpost-covid» est un peu plus délicate, avec des contextes très différents d’une région à l’autre. Même si le haut de gamme progresse partout.»

Cyrille Vigneron s’est aussi exprimé sur le sens du salon de Genève. En préambule, il précise que la présentati­on des nouveautés n’est pas le motif central: «Les maisons qui ont le plus progressé ne le doivent pas à leurs nouveautés. Encore une fois, le moteur, c’est la clarté!» Par contre, la tenue d’un salon se justifie, «de plus en plus»: «Il est important de montrer la diversité de l’horlogerie suisse. Il faut qu’il y ait un moment où tout le monde se rassemble, et pas seulement les grandes maisons entre elles. En cela, le salon constitue le chorus, le point d’orgue!» Ce qui, vu depuis les épaules de Cartier, ressemble à une main tendue au soldat horlogerie. ■

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(GENÈVE, 21 OCTOBRE 2021/ NICOLAS RIGHETTI/ LUNDI 13) Cyrille Vigneron: «Les maisons qui ont le plus progressé ne le doivent pas à leurs nouveautés.»

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